ENFANTER LE LIEN - MERE - ENFANT - PERE- jeannette Bessonart

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71- l'enfant unique en Chine


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L'enfant unique en Chine - Dominique Liabeuf-Svartzman

Ce qui nous intéresse aujourd'hui, c'est l'enfant unique en Chine. Mais avant d'en parler, il serait nécessaire de parler de ce qu'était la famille traditionnelle chinoise et de ce qu'elle est dans les endroits où la tradition demeure fortement ancrée. Liu Yutang, un historien chinois, explique comment le régime familial n'existait pas dans le sens sociologique du terme. La famille n'apparaissait que comme base de l'Etat ou plutôt comme base de la cohésion sociale. «Pour bien gouverner un Etat, mets de l'ordre dans ta famille », disait une sentence. A la campagne, la famille est une unité productive. Pour la société chinoise, la famille ou le clan familial était l'unité de base, réuni autour du Temple des Ancêtres. Le mot Guojia (pays, Etat) est d'ailleurs composé du mot guo (fief) et jia (famille).
 
Quels sont les liens familiaux 

    Ils sont tous basés sur les lois confucéennes d'obéissance. Pour l'homme, obéissance à son père, à son suzerain. Pour les femmes, obéissance à son père, puis à son mari, enfin à son fils aîné. Les lois d'obéissance sont consignées dans 24 livres que l'on donnait à lire aux petits garçons. L'idée principale était celle de la piété filiale. Le premier lien qui unit l'enfant à son père, est un lien d'inféodation. L'idée du respect prime, dans la famille chinoise d'autrefois, sur l'idée d'affection. Il y a très peu d'intimité entre un père et son fils, à plus forte raison entre un père et sa fille. Par contre, les liens affectueux ne sont pas inconvenants entre petits-enfants et grands parents. La grossesse éloignait les époux plus qu'elle ne les rapprochait. L'époux se rapprochait de sa femme lorsqu'elle était purifiée des souillures de l'accouchement et que l'enfant pouvait recevoir un nom, environ trois mois après sa naissance. 

Qu'est-ce que le bonheur familial?

 
    Un patriarche qui vit très vieux, entouré d'une nombreuse descendance, surtout des petits-fils qui perpétueront le culte des ancêtres et le nom de la famille. Le bonheur se résume à quatre générations sous le même toit. 

Qu'est-ce que le mariage? 

    Un arrangement décidé par le patriarche, par les grands-parents ou les parents. Les futurs époux n'ont aucun droit quant au choix de leur futur conjoint, et bien souvent ils ne se connaissent pas avant la date de leur mariage. La femme ira vivre dans sa belle famille et se mettra avec plus ou moins de bonheur au service de ses beauxparents, de sa belle-mère et de son mari. Quand un homme se marie, ce n'est pas une femme qu'il épouse, mais une belle-fille. 

Qu'est-ce qu'une naissance?
 
    C'est d'abord un devoir pour la belle-fille que d'assurer une descendance pour la belle-famille. La naissance d'un fils consolide sa position, la mettant à égalité avec son mari. La naissance d'un garçon signifie la perpétuation du groupe, la meilleure garantie de la future existence des parents lorsqu'ils arrivent à un âge avancé. Ce n'est pas un fils qui naît, mais un petit-fils.. En résumé, les liens qui unissaient le père, la mère et l'enfant, n'étaient pas des liens qui se tissaient à trois, mais plutôt des liens par voie hiérarchique. Les époux ne s'étaient pas choisis par amour, l'enfant devait respect à son père. La mère était comme une étrangère dans sa belle-famille, c'était à elle de s'intégrer; elle n'y arrivait parfois jamais jusqu'à ce qu'elle joue elle-même le rôle de belle-mère. Le seul lien affectif qui lui restait, c'était celui qu'elle avait avec son enfant, et l'on comprend alors l'importance de la mère  chinoise et de l'ascendance qu'elle exerce sur ses enfants et surtout sur ses fils qui ne la quitteront jamais. 

Politique de l'enfant en Chine 

    Maintenant, quelle est la situation générale de la politique de l'enfant unique en Chine? Elle est largement suivie dans les villes, où 80 % des couples la respectent; par contre, à la campagne, là où la tradition est vivace, les paysans y sont généralement réticents. Le gouvernement a dû cette année assouplir la loi sur l'enfant unique de 1979 : au cas où le premier descendant est une fille, une deuxième naissance est autorisée. C'est pourquoi nous parlerons de l'enfant unique et de la formation des familles citadines.
 
Qu'est-ce qui a changé maintenant? 

    En 1949, la polygamie a été abolie. Les femmes se sont mises à travailler et ont pu toucher un salaire, ce qui leur a donné une certaine autonomie au moins financière. Elles peuvent - quand elles vivent encore sous le toit de la belle-famille - dire leur mot quant aux dépenses du ménage. On voit alors une belle-fille plus forte face à sa belle-mère. 
    Il y a ensuite une tendance à la dispersion de la grande famille au profit de la famille nucléaire. Cependant ces dernières années, en raison du manque de logements, la tendance s'inverse. Les jeunes couples vivent avec les parents. Mais même parmi les jeunes gens à la mode, l'importance du clan familial se fait toujours sentir. Le nouveau mode d'habitation, petits appartements dans de grands immeubles, ne permet plus à la grande famille de vivre selon le mode de famille associée. Mais même si l'on y voit un phénomène de nucléarisation de la famille, il s'agit plutôt d'une grande famille éclatée. Malgré le système de retraite et les soins médicaux gratuits dont jouissent en ville les personnes âgées, le gouvernement encourage la solidarité familiale; et le code du mariage stipule que tous les membres d'une famille se doivent assistance: parents, enfants, petits-enfants. Cette entraide familiale était large du fait du nombre de branches qu'elle comportait, oncles, tantes, cousins, etc. Mais avec la politique de l'enfant unique, tout repose sur ce dernier. On parle en Chine du «symptôme 4.2.1. »: tant que l'enfant est petit, six personnes s'occupent de lui; arrivé à l'âge adulte, il aura à charge six personnes, ses 4 grands-parents et ses deux parents, sans compter la famille qu'il formera lui-même. On peut comprendre la préoccupation des autorités pour le phénomène de vieillissement de la population. On peut aussi comprendre la préoccupation de toute la famille pour cet unique héritier Tout le monde s'y met pour lui offrir ce qu'il y a de mieux.
     Il faudra prendre en compte deux aspects pour cerner les liens qui unissent mère-enfant-père : 
1/ Inclure, dans ces liens, la présence des grands-parents; 
2/ Constater l'apparition du père dans l'éducation de l'enfant et par là même du rapprochement affectif père-enfant. Le père actuel entre dans le domaine autrefois réservé aux femmes, alors que cela fait bien longtemps que la mère est entrée dans le monde « masculin» du travail. La présence des grands-parents est primordiale. C'est bien sou vent eux qui s'occupent des petits-enfants pendant que les parents travaillent. Les liens affectifs qui existaient autrefois entre petits enfants et grands-parents, sont restés tels quels. Qui s'est promené en Chine, a pu remarquer l'extrême bienveillance des personne: âgées à l'égard des enfants. Alors, même si ce n'est plus l'ancienne génération qui prend toutes les décisions familiales, elle n'en reste pas moins active dans la répartition des rôles familiaux. 
    Peu à peu, la société chinoise devient une société concurrentielle. Les parents, dès la naissance de leur enfant, s'inquiètent e tâchent de lui donner ce qu'ils ont de mieux. Cela commence par la nourriture, ils n'hésitent pas à achete les produits les plus chers, pensant qu'ils sont plus nutritifs. Chacun connaît les inquiétudes des parents pour leur premie enfant, surtout quand il arrive tard. La marque la plus visible de cette inquiétude chez les jeunes parents chinois, est la surprotection de l'enfant. Tout lui est dû : il est au centre de la famille, le petit génie, le petit bijou. Il ne faut surtout pas le contrarier afin de ne pas gâter son caractère. Lorsqu'on demande aux parents ce qu'ils attendent de leur enfant, la réponse est très nette. Conforme à la société, il devra être performant. On ne lui laisse guère le choix. Bien souvent, les parent super-éduquent leur fille ou fils sans s'inquiéter de ses goûts personnels. On achète violon, piano. Les résultats ne sont pas toujour bons, et c'est le drame si l'enfant ne donne pas ce qu'on attend de lui. Dans un autre ordre des choses, on peut dire que ce n'est pas le père qui sépare le fils de la mère; l'enfant, d'habitude, dort dans le lit parental, d'où le père est parfois éjecté. 
    C'est la société « sans intermédiaIre », qui s'occupera d'enfiler  le coin qui apprendra a l'enfant l'existence de l'autre. La « société », ça peut commencer à 3 ans, à la maternelle, ou à 6 ans, au moment de la scolarisation. Dans tous les cas, elle cherchera un développement intensif des vertus de participation dans un groupe rarement organisé autour d'activités spontanées, mais toujours surcodé par les initiatives de la maîtresse; dur apprentissage du principe de réalité. « Pédagogie» est le grand mot à la mode. Tous les médias donnent d'incessants conseils aux parents désemparés face aux enfants. Pour cela, la société a dû entamer une délicate et courageuse mise en cause des vertus traditionnelles et des tabous ancestraux: on commence à parler, par exemple, de la problématique sexuelle chez parents et enfants. On invoque la «scientificité» des méfaits des rapports sexuels après le 7ème mois de la grossesse; ça provoquerait des contractions utérines. On admet de même la reprise des rapports trois mois après l'accouchement. Tout le monde s'accorde là-dessus: il faut « éduquer les parents ». Cela se passe pardes prêches et des conseils, mais aussi par leur culpabilisation. Le cas d'un garçon battu à mort par sa mère à cause des mauvais résultats scolaires, provoqua bien plus que de l'indignation; il donna lieu récemment à une grande discussion nationale sur les exigences qui pèsent sur les «petits empereurs» et les moyens qu'on utilise pour «transformer au plus vite le fer en acier ».
 
Politique actuelle 

    Selon Lester R. Brown, il faudrait, pour résoudre l'équation population-nourriture au niveau mondial, compter beaucoup plus sur le planning familial que sur la culture à haut rendement qui épuiserait rapidement les ressources hydrauliques. Pour certains pays, le fragile équilibre entre population et production agricole est précaire. C'est le cas de la Chine qui doit faire face à une démographie galopante. Ces dernières années, ce pays enregistre son troisième baby-boom, contrecoup de celui des années 60 - 70. D'autre part, il est particulièrement et fréquemment frappé de calamités naturelles qui ne font qu'aggraver le problème; inondations, érosion des terres cultivables ainsi que leur salinisation, qui font perdre chaque année plusieurs millions de terres arables. 
    C'est pourquoi, dès 1979, la Chine entreprend d'appliquer un rigoureux planning familial; un couple = un enfant. Les mariages tardifs et les naissances tardives sont également encouragés. Mais la politique de l'enfant unique est une raison d'Etat qui  ne correspond que rarement au désir individuel des citoyens. C'est pourquoi les résistances au planning familial sont grandes. Deux cas de figures se dessinent nettement, l'un en ville, l'autre à la campagne. 

Prise de conscience en ville 

    C'est en ville que les couples n'ont droit qu'à un seul enfant. Il n'est pas rare d'entendre cette phrase: « nous sommes vraiment trop en Chine, c'est insupportable ». Il faut faire face à la crise du logement qui, pour les jeunes couples, représente le problème majeur avant celui de l'enfant unique. La population civile est bien informée par les mass-média, et il semble qu'il y ait une réelle prise de conscience. 80 % des couples respectent la politique de l'enfant unique. Mais, malgré tout, l'idée de n'avoir qu'un enfant est vécue comme un sacrifice (à part une infime proportion de parents). Les autres regrettent amèrement que l'on n'ait pas écouté les conseils de Zhou En Laï et du célèbre démographe des années cinquante, Ma Yin Chu (traité à l'époque de malthusien) : tous deux préconisaient deux enfants par couple. «Nous n'en serions pas là maintenant », entend-on encore. Mais déjà, l'idée d'un troisième enfant semble avoir disparu.
 
A la campagne 

    Les campagnes ont toujours été plus réticentes que les villes à n'importe quel genre de planning familial. La réforme à la campagne a encore accentué cette tendance. Évidemment, les terres sont distribuées au prorata des habitants, et plus que jamais la famille paysanne, qui constitue une véritable unité productive, a besoin de bras forts pour labourer la terre, en l'occurrence d'une descendance masculine abondante. D'autre part, à la campagne, la tradition familiale est encore très vivace; la structure de base repose sur la succession patrilinéale. La famille idéale est composée de plusieurs générations vivant sous le même toit, d'une nombreuse descendance et surtout de nombreux fils: ce sont eux qui perpétueront le nom du clan. Ce sont eux aussi qui assureront la vieillesse des anciens, car le système de retraite n'existe pas à la campagne (à part dans quelques communes enrichies). Les filles, elles, quittent la maison lorsqu'elles se marient et vont vivre dans leurs belles-familles, les garçons restant chez leurs pères. On comprend alors très bien ce que représente, pour les paysans, une brusque réduction de la descendance, d'autant plus si le bébé est une fille. C'est pourquoi les autorités chinoises autorisent une deuxième tentative si le premier enfant est une fille. 

En résumé, une famille qui comprend plusieurs fils est capable d'assumer le soutien des plus âgés, mais elle est aussi un obstacle au planning familial. 

Problème de sexe 

    Il est bien évident qu'à la campagne, le sexe masculin est valorisé par rapport au sexe féminin. La recherche du garçon à tout prix est la plus grande cause de l'échec du planning familial à la campagne. Cependant, il se dessine en Chine de petits changements. De nombreuses entreprises rurales se montent et emploient une majorité de femmes. Celles-ci ramènent à la maison un salaire qui leur donne une certaine autonomie, leur rôle dans la société est revalorisé et permet à la jeune femme de ne plus être totalement sous la coupe de la belle-mère. Malgré tout, les chiffres sont parlants. 
    Au niveau national, il y a 107 garçons pour 100 filles! Ce phénomène n'est pas nouveau en Chine, il a toujours existé. Dans certains districts, la proportion peut atteindre 125 garçons pour 100 filles (selon Domenach et Hua Chi Min dans Le Mariage en Chine). Mais de telles proportions sont des cas isolés et épisodiques qui dépendent essentiellement des conditions de pauvreté. Il se peut aussi que si l'on se base sur les registres officiels, les naissances des filles ne sont pas déclarées pour permettre aux familles d'avoir enfin le garçon tant désiré. 

En conclusion 

    Le lien mère-enfant-père n'est pas un lien en soi. Il ne prend toute sa valeur et son importance que parce que cette unité qu'est la famille se trouve à la base de la société. . En ce qui concerne la Chine, il me semble essentiel, pour comprendre ce que sont les liens qui unissent les membres d'une famille, de retracer dans les grandes lignes l'histoire de la famille traditionnelle chinoise et les grands changements de la Chine actuelle. Les liens familiaux ont toujours été les charnières de l'organisation sociale et institutionnelle de la Chine. La lignée patriarcale, le culte des ancêtres, la morale confucéenne, la dépendance de la femme, d'abord de son père, puis de son mari, et enfin de son fils aîné, ont depuis toujours soustrait la famille à la sphère du« privé », pour la placer au centre du domaine «public ». Depuis quelques années, ce schéma culturel se trouve bouleversé par la politique de l'enfant unique. 
    La disparition de la «grande famille, où quatre générations vivent sous le même toit », entraîne dès maintenant une redistribution des rôles et soulève une infinité de nouveaux problèmes: systèmes de retraite, système de garde d'enfants, redéfinition du rôle de la femme dans le marché du travail, et du statut juridique du couple. Tous ces changements ont fondamentalement modifié l'attitude familiale vis-à-vis de «l'enfant »... unique héritier. S'en trouvent profondément modifiés les liens mère-enfant, père-mère, mère-enfant-père. Une fois que le contrôle de natalité aura réussi, au moins en ville, et que la majorité des personnes ne connaîtra plus l'usage des mots «frère aîné », «sceur cadette », «grand cousin », etc., à quoi ressemblera cette société fondée depuis des millénaires sur de tels rapports? 
    A la campagne, le schéma est différent, car la tradition régit encore fortement les comportements sociaux et familiaux. Les entorses faites à la politique de natalité actuelle ont contraint à l'assouplissement de la loi sur l'enfant unique (on laisse les couples faire un «nouvel essai» au cas où ils auraient procréé une fille à la première tentative). Il y aurait encore beaucoup à dire sur les minorités nationales, sur les enfants nés «hors la loi », etc., mais le propos est plutôt de faire le tour de la société moderne actuelle dans son ensemble et d'en tirer les traits les plus marquants. 
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Extrait du livre - ENFANTER le lien mère/enfant/père - publié par J.Bessonart pour sages-femmes du monde - editions Frison Roche Paris
 

07/02/2013
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