ENFANTER LE LIEN - MERE - ENFANT - PERE- jeannette Bessonart

ENFANTER LE LIEN - MERE - ENFANT - PERE- jeannette Bessonart

62 - sons et bruits


page062 - sons et bruits

LE SON DANS LA RELATION MERE/ENFANT/PERE 

                                                                                A.Tomatis

 

L'oreille foetale 

     Lorsque je commençais à parler d'oreille foetale, il y a quarante ans de cela, j'avais vraiment l'impression de prêcher dans le désert. A chaque fois que j'évoquais cette éventualité qui, pour moi, était une certitude, on me disait que j'avais des fantasmes et l'on me traitait volontiers de «poète de la médecine ». Aujourd'hui, tout le monde admet que le foetus entend. C'est donc un fait acquis. Il reste bien sûr à savoir ce qu'il entend et, là encore, il faut se battre contre certains a priori. Mais l'essentiel est de reconnaître qu'il y a communication entre le foetus (et même l'embryon) et sa mère. Et peut-être aussi avec le père.

Dynamique de l'oreille foetale

    Pour comprendre la dynamique de l'oreille, il est nécessaire de plonger un petit peu dans son embryologie, au moment où elle se construit chez le foetus. Et nous saurons quels peuvent être les sons que le foetus est susceptible d'entendre dans le ventre de sa mère, quels sont ceux qu'il va pouvoir utiliser pour structurer le démarrage de sa linguistique ultérieure et, enfin, ce qu'il va entendre à la naissance. 
    L'oreille commence à se structurer dès les premiers jours de la vie de l'embryon. Vers le quinzième jour, on voit apparaître au niveau du système nerveux ce qu'on nomme la placode auditive, à partir de laquelle va s'élaborer l'oreille. A la troisième semaine, elle s'invagine et se ferme. Dès la quatrième semaine et demie, elle est déjà une vésicule qui va devenir une oreille interne. L'embryon n'a, à ce moment-là, que 6,3 mm. Je pense et j'oserais dire que déjà il commence à entendre quelque chose. En effet, lorsque nous réalisons des rééducations en plongeant les sujets dans l'audition intra-utérine, ceux-ci effectuent de nombreux dessins représentant avec une réalité absolument déconcertante la cavité utérine et ce qui peut se passer à l'intérieur de celle-Ci. On pense generalemenl que l'ensemble n'est pas fonctionnel, car il n'y a pas encore de branchement vers le cerveau, mais cela ne veut pas dire que l'oreille n'engramme pas des faits qu'elle gérera ensuite à l'occasion de la mise en route du système nerveux. 
Vers la vingtième semaine, c'est-à-dire à la moitié de la vie fretale, l'oreille interne est normale. Elle a atteint son état final, elle ne grossira plus. Elle va rester ce qu'elle est à cette époque. En même temps se contruisent, dans des conditions identiques de croissance, l'étrier, l'enclume et le marteau, c'est-à-dire les trois osselets de l'oreille moyenne
    Je précise donc que nous avons là une oreille interne et moyenne adulte qui ne changera plus dans ses dimensions. A cinq mois et dem, les nerfs vestibulaires et cochléaires constituant le nerf auditif vont se myéliniser, c'est-à-dire qu'ils vont avoir une activité fonctionnelle allant jusqu'aux noyaux, pour être ensuite totalement myélinisés sur l'aire corticale à la naissance. Le nerf auditif est le seul nerf complètement fonctionnel à la naissance. L'oeil viendra plus tard. 
    Quant à l'élaboration définitive du système nerveux, elle n'aura pas lieu, sur le plan des fibres associatives, avant l'âge de 42 ans. C'est dire l'énorme précession de l'oreille par rapport à l'ensemble du système nerveux. 
    Nous allons maintenant évoquer un point important concernant la cochlée. Cet appareil contient une cellule exceptionnelle qui s'appelle la cellule de Corti et qui va se répandre d'une manière non homogène sur la rampe cochléaire. Nous touchons du doigt l'une des clés de la communication intra-utérine. La cochlée a 32 mm de long, elle est 100 fois plus mince d'un côté que de l'autre; cela fait que les aigus, les médiums et les graves sont perçus à des endroits différents. Il y a quelques cellules dans les graves, un peu plus dans les médiums et 24.000 dans les aigus. L'écoute des aigus a des effets multiples. Elle stimule le cerveau qui a besoin d'excitation pour fonctionner. Elle prépare la verticalité et la lutte anti-gravifique. Actuellement, on ne sait plus se tenir droit et l'on fabrique des invertébrés à cause de cela. Si vous insonorisez trop, le système nerveux ne perçoit que les sons graves. Les sujets sont alors de plus en plus fatigués; ils s'affaissent, car ils n'ont plus la chance de pouvoir se recharger. 
    Par ailleurs, il est nécessaire de songer au changement de posture de la mère enceinte. Son ventre se place en avant et, peu à peu, il se crée une tension importante de sa colonne vertébrale, chacune des vertèbres étant tendue par les ligaments et les muscles d'une façon particulière. 

    Un véritable arc chantant va ainsi s'élaborer, et la voix de la mère va passer par la colonne vertébrale pour aller atteindre le foetus

    A noter aussi que le diaphragme change un peu de place; il est un peu abaissé. Nous retrouvons ce phénomène chez es grands chanteurs. Vous savez que les lemmes enceimes ont plus de facilité à chanter que les autres; et quand une cantatrice attend un enfant, elle chante encore plus facilement qu'avant. Cela peut se faire parce qu'elle est obligée de se tenir d'une certaine façon. Elle ne peut plus pousser pour chanter, et l'air sort plus naturellement. 
    Dans un autre ordre d'idées, citons le très beau travail réalisé dans une maternité de Vesoul. On a pu démontrer que lorsque la mère parle, les sons de sa voix descendent jusqu'au bassin qui constitue alors un véritable résonateur. Il se prend à chanter très fort au niveau des ailes iliaques, et il n'y a presque pas de perte d'énergie. La mère a donc une communication sonique forte, nette, avec son enfant avant la naissance. Je n'ai pas encore pu mesurer les bruits que réalise le fcetus, mais je pense qu'il en fait aussi et que la mère entend quelque chose. Il s'institue ainsi un vrai dialogue entre les deux protagonistes. 

«Est-ce que la voix du père passe, est-ce que la musique passe?»

    D'autre part, j'aimerais parler d'une autre expérience qui a été faite de nombreuses fois. On a mis des vibrateurs sur le ventre d'une femme, et l'on a placé une sonde dans un utérus (sans embryon ni foetus). On a alors constaté qu'il faut faire passer beaucoup d'énergie, 110 à 115 décibels, pour que le son se transmette d'une manière linéaire. Ce qu'il est intéressant de noter et qui fait l'objet actuellement d'un débat est le problème suivant: «Est-ce que la voix du père passe, est-ce que la musique passe?» Tout passe, certainement, mais en faisant intervenir des intensités importantes. 
    Heureusement, le foetus a une chance, aussi bien le foetus humain que celui des mammifères: son oreille, qui est adulte dès le quatrième mois et demi, ne perçoit pas tout. Sans quoi la vie dans un utérus serait impossible: bruits de creur, bruits du ventre, bruits de la respiration, bruits des mouvements de la mère, bruits du foetus lui-même. Cela ferait un tel tintamarre qu'il serait impossible de vivre dans une telle ambiance. L'oreille fonctionne donc comme un filtre; elle coupe les graves à partir de 2.000 hertz.     Prenez par exemple une voix de mère et faites-la passer dans les graves. L'enfant s'endort tout de suite parce qu'il manque de stimulations. Si l'on veut le dynamiser, lui donner envie de vivre, envie de se redresser, envie d'entrer en communication, donc en verticalité, il faut lui transmettre la voix de sa mère filtrée dans les aigus. A ceci près qu'il faut s'assurer que le message passe bien. En effet, il est nécessaire de trouver un moyen de faire travailler les deux muscles de l'oreille moyenne: le muscle du marteau et le muscle de l'étrier. Pour cela, on doit avoir recours à des bascules électroniques qui « ouvrent la paupière auditive» et permettent à la voix maternelle de passer, notamment, en conduction osseuse. A partir de ce moment-là, il y a transformation de la relation mère-enfan1 et apparition du désir de vivre, du désir d'écouter. 

    On a donc vu que la voix de la mère est transmise au fcetus dans la cavité utérine. 
On peut maintenant se demander si la voix du père est également perçue par l'enfant. Oui sans doute, mais d'une façon tout à fait différente, sous la forme de rythmes qui ne sont pas ceux de la voix maternelle. Il est évident que le fcetus est beaucoup plus sensible à la voix de sa mère qu'à celle de son père, quoi qu'en pensent certains chercheurs. La preuve en est que, si vous faites passer à un enfant après sa naissance la voix de sa mère filtrée à 8000 ou à 12000 Hz et perçue à travers des bascules électroniques, l'enfant réagit immédiatement. Il décode les signaux sonores qui, de prime abord, semblent totalement inaudibles, incompréhensibles. L'enfant, lui, les reconnaît, et il reconnaît uniquement ceux inhérents à la voix de sa mère. Il a une connaissance spécifique de cette voix qui l'a bercé tout au long de son cursus prénatal. Il y a là un important domaine de recherche à explorer, car il s'agit vraiment d'une des clés de l'humanisation au niveau de la communication primordiale, essentielle, qui se constitue pendant ces neuf mois et qui est à la base de la dynamique relationnelle après la naissance. 

    La mère va donc inonder tout le corps de son enfant avec les sons qu'elle émet et avec ceux qu'elle entend. 

    Elle va aussi imprégner tout le système nerveux de l'enfant de ces différentes informations soniques. Si bien que l'enfant va, après avoir quitté ce lieu paradisiaque, continuer de dialoguer avec sa mère d'une façon privilégiée. Vous connaissez toutes, vous, sages-femmes, ce que représente une telle communication de l'enfant avec sa mère. A un moment donné, le bébé va s'exprimer par des « areu-areu» s'il a une oreille française, des « hé-hé-hé » s'il est italien, etc. C'est-à-dire selon le milieu acoustique et ethnique auquel il appartient. 

    Ensuite, un autre jeu va se mettre en place. La babillage qui se crée n'a pas de valeur sémantique au départ, même si l'enfant dit : ma, ma, mama; c'est parce qu'il a faim et qu'il allonge ses lèvres que «ma, ma» va apparaître. S'il refuse la nourriture, c'est «pa, pa, pa» qui sera émis. Ce n'est que plus tard que l'enfant va faire la corrélation: tiens, quand je fais ma, ma, c'est ma mère qui arrive et quand je dis pa, pa, c'est mon père. Il y a une autre nuance intéressante, c'est le ton sur lequel cela est dit par l'enfant. Ce n'est pas «ma, ma» ou «pa, pa» sur un mode linéaire qu'il exprime, mais bien avec une intonation et des cadences qui montrent qu'il utilise son oreille droite ou son oreille gauche pour se contrôler. Et ceci est très important, car on voit se profiler tout le problème de la latéralité. 
    Pendant toute la vie, la symbolique droite-gauche jouera sur le comportement relationnel. Le capital maternel sera représenté au départ par les deux oreilles, mais bien vite l'oreille droite deviendra celle qui va contrôler le langage «paternel », celui qui s'imprime sur les «areu areu ». L'oreille droite sera donc l'oreille du père, de l'image solaire, du devenir, tandis que l'oreille gauche sera attribuée symboliquement à la mère, au passé, à la terre. Souvenez-vous, Gargamelle a fait naître son enfant par l'oreille gauche! 

En conclusion 
    Le son est sans conteste le support de la relation verbalisée dans la communication humaine. Celle-ci trouve son origine au plus profond de la nuit utérine, alors même que l'embryon génère son système audio-neuronal C'est grâce à la voix de la mère perçue à travers une oreille précocement conçue, et opérationnelle dès les premières semaines de la vie prénatale, que s'ébauche le désir de communiquer. Dès lors que ce stade est acquis, il se prolonge après la naissance par un langage spécifique qui se caractérise lors des premiers mois par le babil. 
    Le langage social, celui du père, se greffe alors sur les rythmes préétablis lors de l'intégration de la voix de la mère à travers les filtres de l'oreille foetale.
     Ainsi se précisent les stades successifs de la relation verbalisée mère-enfant-père que l'on peut définir de la façon suivante: - stade pré-babil: intra-utérin - stade babil - bégayage-éclosion du langage autocontrôlé - structuration du langage par apprentissage. Tandis que se mettent en place ces différentes étapes, le système nerveux se prépare à répondre à l'organisation imposée par la fonction parolière. 
----------------------------------------------------------------------------------------------------------
Extrait du livre - ENFANTER le lien mère/enfant/père - publié par J.Bessonart pour sages-femmes du monde - editions Frison Roche Paris


07/02/2013
0 Poster un commentaire