ENFANTER LE LIEN - MERE - ENFANT - PERE- jeannette Bessonart

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198 - le lien au Salvador


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Le lien mère/enfant/père au Salvador à la naissance 

entre guerre et absence du père 

JACQUELINE COMBREAU sage-femme 

     Je suis sage-femme, et, après avoir travaillé cinq ans en France, je suis partie dans différents pays avec« Médecins sans Frontières ». Actuellement, je suis au Salvador où je travaille à l'université avec les monitrices qui formeront les futures sages-femmes salvadoriennes qui s'appellent là-bas «des techniciennes en santé maternoinfantile ». 

Je vais vous parler du lien mère/enfant/père dans un pays en guerre. 

     Le Salvador connaît depuis huit années une guerre civile soutenue par des puissances étrangères et qui l'enferme dans une situation déjà précaire au départ. Globalement, on trouve un million de Salvadoriens en dehors du pays, 5 millions à l'intérieur du pays. 7 grandes familles se partagent 95 % des terres. La classe moyenne est minime; la classe très pauvre, majoritaire. Quelle que soit la couleur politique des familles, celles-ci se voient amputées du père ou des fils aînés qui se retrouvent dans les rangs de l'armée régulière ou de la guérilla. Les femmes se retrouvent seules à élever un ou plusieurs enfants. 

     Pourtant, la guerre n'a pas induit ce phénomène. Elle n'a fait qu'accentuer un processus préexistant. Il affecte principalement les classes défavorisées d'une manière cruciale et dont je parlerai puisqu'ils sont les plus nombreux. 

     Au Salvador, malgré une forte influence religieuse qui empêche, par exemple, l'utilisation des méthodes contraceptives, les couples ne se marient pas, se font et se défont après avoir fait un ou plusieurs enfants. Dans tous les cas, l'enfant reste avec la mère, et il n'est pas rare de rencontrer des femmes avec cinq ou six enfants qu'elles ont eu avec trois ou quatre hommes différents. 

     Avec la guerre, les hommes se font de plus en plus rares, et les femmes se les partagent au fil des années. Quand l'homme et la femme se séparent, le père disparaît complètement et peut ne plus avoir aucun contact avec ses enfants. Le rôle du père s'arrête quand il quitte la mère de son enfant. La fibre paternelle s'exprime peu dans les milieux défavorisés du Salvador. Cela ne veut pas dire qu'elle n'existe pas. 

Comment se passe la vie génitale de la majeure partie des femmes et quelle est la perception de la grossesse? 

     Il existe une ignorance complète du corps et de son fonctionnement. J'ai travaillé avec un groupe de femmes de 40 à 50 ans qui ont toutes découvert qu'elles avaient eu des périodes de fécondité et des périodes d'infertilité. «Ah! si nous avions su, disaient-elles, mais c'est trop tard! » 

     Dans les milieux défavorisés, la grossesse est un état tellement normal qu'une fille de 14 ans, enceinte, ne pose aucun problème à sa famille. A l'inverse, la grossesse est un état tellement commun que l'entourage n'incite pas la jeune fille à consulter. 

      Quant à la contraception, elle est pratiquement inexistante. Les résistances sont religieuses ou sociales avec la poursuite des croyances en la malignité de la pilule ou en la gêne du stérilet. Le préservatif masculin, dans une société machiste, est encore moins en vogue qu'ailleurs. Quelques femmes se font stériliser après leur lOe accouchement. 

     Pour ce qui est du désir d'enfant dans un pays où il s'agit souvent de survie, la réflexion extrême fut: «Mais qui peut bien avoir envie d'un enfant?» 

     Résultat de tout cela: un taux de natalité élevé, des femmes jeunes, très jeunes, qui accouchent; une femme sur quatre est suivie pendant sa grossesse, et ces chiffres ne tiennent pas compte du nombre et de la qualité des consultations; un taux de mortalité infantile de 28 pour mille à un mois, et un taux de mortalité maternelle de 0,7 pour mille. 

     classes défavorisées d'une manière cruciale et dont je parlerai puisqu'ils sont les plus nombreux. 

Au Salvador, malgré une forte influence religieuse qui empêche, par exemple, l'utilisation des méthodes contraceptives, les couples ne se marient pas, se font et se défont après avoir fait un ou plusieurs enfants. Dans tous les cas, l'enfant reste avec la mère, et il n'est pas rare de rencontrer des femmes avec cinq ou six enfants qu'elles ont eu avec trois ou quatre hommes différents. 

Avec la guerre, les hommes se font de plus en plus rares, et les femmes se les partagent au fil des années. Quand l'homme et la femme se séparent, le père disparaît complètement et peut ne plus avoir aucun contact avec ses enfants. Le rôle du père s'arrête quand il quitte la mère de son enfant. La fibre paternelle s'exprime peu dans les milieux défavorisés du Salvador. Cela ne veut pas dire qu'elle n'existe pas. 

Comment se passe la vie génitale de la majeure partie des femmes et quelle est la perception de la grossesse? 

Il existe une ignorance complète du corps et de son fonctionnement. J'ai travaillé avec un groupe de femmes de 40 à 50 ans qui ont toutes découvert qu'elles avaient eu des périodes de fécondité et des périodes d'infertilité. «Ah! si nous avions su, disaient-elles, mais c'est trop tard! » 

Dans les milieux défavorisés, la grossesse est un état tellement normal qu'une fille de 14 ans, enceinte, ne pose aucun problème à sa famille. A l'inverse, la grossesse est un état tellement commun que l'entourage n'incite pas la jeune fille à consulter. 

Quant à la contraception, elle est pratiquement inexistante. Les résistances sont religieuses ou sociales avec la poursuite des croyances en la malignité de la pilule ou en la gêne du stérilet. Le préservatif masculin, dans une société machiste, est encore moins en vogue qu'ailleurs. Quelques femmes se font stériliser après leur lOe accouchement. 

Pour ce qui est du désir d'enfant dans un pays où il s'agit souvent de survie, la réflexion extrême fut: «Mais qui peut bien avoir envie d'un enfant?» 

Résultat de tout cela: un taux de natalité élevé, des femmes jeunes, très jeunes, qui accouchent; une femme sur quatre est suivie pendant sa grossesse, et ces chiffres ne tiennent pas compte du nombre et de la qualité des consultations; un taux de mortalité infantile de 28 pour mille à un mois, et un taux de mortalité maternelle de 0,7 pour mille. 

Comment accouche-t-on au Salvador? 

     60 % des femmes accouchent à domicile, assistées des sages-femmes traditionnelles, par un membre de la famille ou bien seules. 

     Les femmes font appel à une structure institutionnelle en ville ou dans les régions proches d'un centre de santé ou quand il y a un problème, donc souvent trop tard. De toute façon, les hôpitaux n'ont pas la capacité d'accueillir toutes les femmes qui accouchent. La seule maternité de San Salvador doit faire face chaque jour à 60 naissances; les femmes se retrouvent tête-bêche dans le même lit avec les enfants quand il n'y a plus de berceaux. 

     Les pères n'ont aucune place prévue dans cet environnement. Dans ces conditions, il est difficile d'encourager les femmes à accoucher à l'hôpital. On a pourtant du mal à les encourager à accoucher à domicile avec une sage-femme traditionnelle non formée. Pourtant, celle-ci a le mérite énorme d'apporter à la femme et à la famille le soutien moral dont elle a besoin au moment de l'accouchement. Ce qui n'existe pas dans les institutions et, en particulier, pas à la maternité de San Salvador où on rencontre des attitudes difficilement soutenables de la part du corps médical. 

     Quelles mesures ont été prises au Salvador à une époque où tous les pays du Tiers-Monde et les O.N.G. donnent la priorité à la santé materno-infantile? 

Formation des accoucheuses traditionnelles 

     Malgré d'énormes contrastes entre les classes sociales, le Salvador reste un pays globalement sous-développé, et le ministère de la Santé ne peut faire face à une situation sous-sanitaire liée à une pénurie économique. Bien que le pays soit petit (équivalent de la Belgique), certaines régions sont économiquement démunies et complètement isolées. Il y a quelques années, le ministère de la Santé a choisi d'investir dans la formation des sages-femmes traditionnelles. 

     A l'heure actuelle, 1200 sages-femmes ont été formées, et environ 800 sont opérationnelles et gardent un lien avec la structure formatrice. On ne peut pas miser sur les sages-femmes traditionnelles, et que sur elles, pour diminuer de façon notable la mortalité et la morbidité materno-infantile, surtout si la formation dure deux semaines et si on imagine bien la difficulté de superviser les sages-femmes traditionnelles sur le lieu d'exercice. 

A l'université, formation de sages~femmes diplômées 

     Pour sa part, l'université nationale où je travaille a créé une nouvelle ressource humaine, il y a quelques années, spécialisée dans la santé materno-infantile. Ces techniciennes sont supposées travailler non dans les hôpitaux, car les postes sont pourvus, mais dans un système qui, décentralisé, permettrait à moyen terme de travailler avec les sages-femmes traditionnelles. Je ne parle pas ici de les remplacer. 

     Les sages-femmes traditionnelles, empiriques, ont la confiance de la population, alors que le corps médical et l'hôpital font peur. D'autre part, tant qu'il n'y aura pas de progrès économique, il n'y aura pas de progrès sanitaire, et les professionnels de santé resteront dans les villes ou la périphérie et n'iront pas où sont les sagesfemmes traditionnelles. 

Alors, est-on devant une impasse? peut-être pas! 

     Les expériences antérieures dans d'autres pays m'ont montré qu'il est possible de travailler avec les sages-femmes traditionnelles, même dans le cas extrême où elles n'ont pas la représentation de l'image; c'est-à-dire que, par exemple, elles ne font pas la relation entre une femme avec un gros ventre dessinée sur un papier, et une femme enceinte. Il faut trouver d'autres méthodes d'approche. 

Faire travailler ensemble le monde empirique et le monde scientifique 

     Actuellement, mon travail consiste, avec l'aide de personnes déjà convaincues, à faire passer à l'université l'idée d'un travail en commun avec les sages-femmes traditionnelles. Que le monde scientifique côtoie un jour le monde empirique n'est, j'espère, pas une utopie. Il faut trouver dans les pays en voie de développement le moyen de rendre compatibles, deux mondes a priori opposés, mais complémentaires. 

     Ce qui est certain, c'est que la population salvadorienne préfère, pour le moment, la sécurité morale d'un accouchement à domicile avec les sages-femmes traditionnelles à la sécurité et à la crainte que procure l'actuel personnel de santé. Elle ne fait pas forcément la relation entre un malheur et une carence en soin ou une manœuvre dangereuse de la sage-femme traditionnelle. Il faut donc arriver à supprimer la peur et à se faire accepter des sages-femmes traditionnelles. 

     D'autre part, et c'est le message qu'il faut faire passer aux étudiantes et donc aux monitrices sages-femmes, il faut être convaincu de la nécessité de travailler avec les sages-femmes traditionnelles si on veut améliorer la santé materno-infantile, et ce parce qu'elles ont des choses à dire. 

Laisser la place au père 

     Au Salvador, en particulier, les sages-femmes traditionnelles n'ont jamais isolé le père lors de l'accouchement. 

     A l'université, nous essayons de faire entrer dans les programmes officiels une partie consacrée à l'accouchement à domicile et aux sages-femmes traditionnelles. Au niveau du pays, si nous voulons voir s'exprimer la fibre paternelle, il faut en finir avec les programmes materno-infantiles qui n'invitent jamais le père à participer. Le machisme, tant décrit en Amérique latine, est un phénomène compliqué, entretenu par tout le monde, par les femmes aussi. 

Résoudre les problèmes de fond: injustice, sous-développement, guerre 

     En conclusion: en période de guerre, quand celle-ci est de surcroît une guerre civile, tout ce qui peut être fait ou tenté n'est qu'un palliatif quand les problèmes de fond ne sont pas résolus. L'action paraît souvent du bricolage si l'on ne reconstruit pas les fondations. On assiste donc à un état d'esprit commun à tous les états de guerre, souvent inconscient, qui fait qu'au Salvador, il est difficile de faire avancer les choses. 

     Tant que 5 % de la population possèdera 95 % des terres, on ne verra pas de progrès sociaux et on ne pourra s'attendre à de grands changements quant à l'approche de la naissance. 

Au Salvador, on n'en est pas encore au désir d'avoir un enfant, ou peut-être l'a-t-on perdu et faut-il seulement le retrouver. 




07/02/2013
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