ENFANTER LE LIEN - MERE - ENFANT - PERE- jeannette Bessonart

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167 - le cordon ombilical sonore


page167 - le cordon ombilical sonore

Comment amener la maman dans un incubateur quand il s'agit d'un enfant en réanimation importante 

Un des plus grands succès de la médecine du XXe siècle est certainement la diminution de la mortalité infantile. La réanimation néonatale a permis de diminuer la mortalité néonatale de 39 pour mille en 1955 à moins de 6 pour mille en 1984. 

Beaucoup de travaux dans la littérature médicale pédiatrique font le point sur la pathologie de cette tranche d'âge en envisageant uniquement les problèmes organiques. 

De nombreuses équipes ont ouvert leurs services aux parents afin de rétablir le contact avec l'enfant dans le but de diminuer le traumatisme affectif vécu par les parents et générateur de troubles relationnels ultérieurs. 

Le syndrome d'absence maternelle 

Mais les parents ne sont pas souvent présents auprès de leur enfant pour de nombreuses raisons, ce qui double, chez le nouveau-né malade, le traumatisme physique d'un stress psychologique par syndrome d'absence maternelle. Seule la sensorialité auditive nous permettait de résoudre ce problème. 

Chaque naissance, qu'il s'agisse d'un enfant normal, malade ou prématuré, comporte tout un versant psychique important, car elle marque la fin de la dépendance intime dans laquelle l'enfant est tenu depuis le début de sa vie embryonnaire. Il ne connaît le monde extérieur que par ses perceptions sensorielles, toutes modifiées par le corps de sa mère. La naissance précipite le fœtus dans un monde inconnu de lui; non seulement il doit être indépendant sur le plan organique avec les bouleversements que l'on connaît, mais également il y est agressé sur le plan somesthésique et sensoriel, créant ainsi une succession de malaises et de bien-être physiologiques et (ou) psychiques. 

Deux écoles s'opposent parmi les obstétriciens et les sagesfemmes quant à la conduite de l'accouchement. Le tout «technique» d'un côté, le tout « psychologique» de l'autre. Bernard This essaie de trouver la voie intermédiaire entre le technicien déshumanisé et le psychologue à tout crin afin que l'enfant puisse naître et sourire. Cette antinomie n'effleure pour l'instant que les pédiatres s'occupant d'enfants sains naissant sans pathologie organique avérée et dans une structure préparée à l'haptonomie, qui trouve son aboutissement dans un accueil de l'enfant à la naissance avec présence du père, lumière atténuée, musique douce. 

Tout autre est le problème du nouveau-né transféré par nécessité vitale dans un service de réanimation néonatale, qu'il s'agisse d'un nouveau-né à terme malade ou d'un grand prématuré, qu'il soit admis dans un service de néonatologie dans l'hôpital où il est né ou qu'il soit transféré dans une structure de réanimation plus ou moins éloignée de son lieu de naissance. 

Pour lui commence alors un véritable parcours du combattant où, à juste titre et pour améliorer son état, pour l'aider à vivre ou même à survivre, il va être perfusé, intubé, ventilé, ponctionné, exsanguiné, draîné, et tout ceci pendant un temps plus ou moins long. Pendant tout ce temps, il est maintenu en incubateur, souvent attaché afin qu'il n'arrache pas involontairement tout ce qui le maintient à la vie; il subit les variations thermiques de son environnement; il est agressé par la lumière souvent trop vive, mais surtout permanente, et il subit l'agression sonore des hublots d'incubateur fermés souvent sans délicatesse ou du fond sonore d'un incubateur souvent mal réglé. 

Mais surtout, il est isolé de sa mère qu'il ne sent plus, qu'il n'entend plus et qui ne peut venir le toucher que 10 minutes par jour. Tout ce qu'il a connu de réconfortant pendant le temps de la grossesse a disparu brutalement. 

Toute cette technique a transformé le pronostic des détresses néonatales, nous permettant de faire baisser les taux de mortalité néonatale précoce à 1,43 et tardive à 0 pour mille avec une mortalité périnatale à 4,57 pour mille en quelques années, dans une structure intégrée avec service de réanimation néonatale et service d'obstétrique dans le même hôpital privé. 

Ces taux de mortalité paraissant difficilement compressibles, nous nous sommes orientés vers une réflexion sur le confort sensoriel de ces enfants et sur leur devenir neurophysiologique et psychologique, en relation avec le stress psycho-affectif que représente le syndrome d'absence maternelle sonore pendant la durée de l'hospitalisation. 

Les éléments de physiologie auditive actuellement bien connus montrent que, dès la 24e semaine, l'enfant entend. 

La voix de la mère dans l'incubateur 

Les seuils de réponses au niveau du tronc cérébral montrent qu'à 30 semaines, il perçoit un son à 50 décibels et qu'à 35 semaines, il a un seuil pour l'onde 5 de 10 décibels qui est le seuil pratiquement identique à celui de l'adulte. 

Les informations sensorielles qui parviennent au fœtus ont été particulièrement bien étudiées. Et on note, au niveau des bruits extérieurs dont la musique, qu'ils sont parfaitement perçus dès 24/25 décibels et que la voix maternelle émerge très nettement à 24 décibels par rapport aux bruits de fond. 

La mémorisation anténatale a été très bien étudiée par différents auteurs; et il semble évident qu'il y a chez le fœtus, impression non seulement des battements du cœur de la mère, mais aussi de toute l'enveloppe sonore prénatale, comme disent Brazelton et Madame Lecour, et en particulier de la voix maternelle et de l'ambiance musicale. 

Nous avons donc mis en place une expérience de sonorisation d'incubateur. Nous avons utilisé le Sonincub de la Société Protia qui comporte plusieurs éléments, essentiellement un lecteur de bande magnétique; et pour éviter de créer un stress supplémentaire, il y a tout un système de limitation sonore branché sur ce magnétophone avec une limitation haute et basse, un système de feed-back qui permet, par l'intermédiaire d'un micro, de couper l'émission sonore s'il y a un surajout de bruit dans cet incubateur. 

Sur cette machine, vous avez aussi une limitation préétablie et qui peut être modifiée (seulement par un technicien pour éviter à tout le monde de bricoler et envoyer n'importe quel niveau sonore dans l'incubateur), qui permet de modifier l'installation sonore selon qu'il s'agit d'un grand prématuré ou d'un enfant à terme. 

Nous avons utilisé pour étudier le comportement sonore chez le prématuré, trois ambiances sonores différentes: 
- la voix maternelle ou parentale; 
-la musique qu'écoutait la mère régulièrement pendant la grossesse et donc connue de l'enfant; 
- des musiques utilisées en musicothérapie. 

En ce qui concerne la voix maternelle ou plutôt parentale, je demande aux mamans de faire un enregistrement, tranquillement chez elles comme si elles avaient leurs bébés près d'elles, comme si elles voulaient l'endormir. C'est le principe des contines faites pour calmer les enfants et les endormir. 

Ces enregistrements sont passés en moyenne une heure, trois fois par jour, dans des conditions préétablies mais variables suivant chaque enfant, c'est-à-dire qu'il est hors de question de passer ces enregistrements pendant une période de soins ou une période agressive pour ne pas lier les deux phénomènes. Il est hors de question de passer l'enregistrement après que l'enfant a été rassasié car, dans ce cas-là, il n'a que faire de la musique puisqu'il dort. On peut le faire une heure avant. Lors de cette émission sonore, nous enregistrons un certain nombre de facteurs qui sont notés de manière systématique: 
- les pleurs, les cris, l'agitation, les mouvements lents, la recherche oculaire, l'ouverture des yeux, l'éveil ou l'endormissement, le fait qu'il suce son pouce ou pas. 

Nous enregistrons également les facteurs organiques: le rythme cardiaque de base et ses modifications, le rythme respiratoire de base et ses modifications. 

Les résultats les plus intéressants ont été obtenus par la voix maternelle. C'était un enfant préalablement agité. Celle-ci peut déclencher l'apaisement, une recherche oculaire dans le calme, des mouvements lents des membres avec endormissement profond. Je me rappelle une petite Julie qui pesait 1200/1300 g était vraiment très coléreuse et à qui il suffisait de passer l'enregistrement de sa mère ou de la musique connue pour la calmer. 

La musique dans l'incubateur 

En ce qui concerne les essais avec musique perçue in utero, les effets sont pratiquement les mêmes, peut-être moins intenses parce que la mère parle plus souvent à son bébé pendant la grossesse qu'elle n'écoute de la musique. Mais manifestement, on a des résultats très importants. 

Je peux vous parler d'un enfant prématuré de 970 g. qui adore Bécaud, et si vous lui passez Léonard Cohen, il s'en fiche complètement. 

Après avoir fait cette démarche, moi qui ne suis pas musicien, j'ai été voir François Jacquemot qui est psychanalyste et musicothérapeute en lui disant: « Quest-ce qu'on peut faire à ce niveau-là?» 

On a donc essayé de sélectionner quelques morceaux en fonction des critères de Jost, c'est-à-dire relaxation, apaisement, détente. Nous avons sélectionné trois morceaux et les avons passé de manière très précise aux enfants en notant tout. 

Beethoven est le préféré des enfants nés prématurément 

Pour une quinzaine d'enfants, manifestement Beethoven passe nettement mieux. Est-ce dû à sa musique, au petit nombre des enfants testés? Toujours est-il qu'il s'agit d'un thème très rythmé, suivi d'un thème plus mélodique. 

Chez l'enfant endormi mais en pré-réveil, on peut obtenir un éveil, une recherche oculaire dans le calme, sans aucun phénomène d'intolérance. On observe souvent aussi des mimiques qui ressemblent fort à un sourire. 

Les modifications importantes du rythme cardiaque et respiratoire sont également enregistrées. On voit nettement une différence, et l'enfant s'endort d'une manière profonde. Malheureusement, il y a eu reprise des soins infirmiers de manière intempestive, et on voit réapparaître les rythmes cardiaques et respiratoires antérieurs. Nous retrouvons ces modifications des rythmes cardiaques et respiratoires d'une manière trop fréquente pour que ce soit un hasard. 

L'effet le plus important pour l'instant est aussi celui retrouvé chez les parents. 

Manifestement, le père et la mère sont réinvestis auprès de leur enfant. Vous savez très bien que les enfants qui sont en réanimation lourde donnent beaucoup d'anxiété à leurs parents; l'équipe médicale leur a pris leur bébé. Alors que là, ils sont réinvestis. Pour eux, c'est un nouveau bonheur qui apparaît. C'est pourquoi je dis que le Sonincub réalise un véritable cordon ombilical sonore. Il diminue leur sensation d'absence, car ils savent que même en leur absence, ils sont présents auprès de leur enfant: il diminue leurs frustrations, il diminue leur anxiété. Là, par l'intermédiaire d'une bande magnétique, les parents savent qu'ils sont en partie présents auprès de leur enfant, qu'il n'est plus abandonné et qu'ils peuvent l'aider et le soutenir. Ils le voient autrement, car il n'est plus complètement kidnappé par l'équipe médicale qui s'approprie l'enfant sans toujours penser à la détresse des parents. Il est très intéressant dè voir le comportement de ces parents et de les revoir six mois après quand ils vous reparlent de l'expérience : 
- nous n'entendons plus les mêmes phrases qu'autrefois; 
- les parents ne vous parlent plus de leur angoisse de la même manière. 

Il y a deux ans, avant que nous utilisions cette machine, les parents d'anciens prématurés, dès que vous leur parliez de cette phase-là, repartaient dans leur tristesse et dans leur angoisse. Maintenant, ils peuvent en reparler de manière très facile. 

Un phénomène important à observer est que les parents me disent régulièrement: 
-« dès qu'il est rentré à la maison (à 1 kg 800, 2 kg), l'enfant réagit à la voix de la maman ». 

Alors que vous avez vu des enfants prématurés qui, pendant les premières semaines, pour ne pas dire 2 ou 3 mois, sont des enfants très atones, très tristes, et qui réagissent très mal à la stimulation maternelle. 

Effet également sur l'équipe soignante qui voit aussi l'enfant sous un autre angle. Il retrouve sa personnalité. Le personnel soignant et le médecin retrouvent la notion d'agression sensorielle; les hublots, à cause de cette machine, sont fermés plus doucement; on ne pose plus un flacon de manière brutale sur un incubateur. Tout le monde porte un regard nouveau sur les parents. Ils ne sont plus exclus du service, ils sont intégrés. Il y a déjà longtemps qu'ils rentraient dans le service, qu'ils prenaient leurs enfants dans les bras. Mais là, on porte encore un regard nouveau et on s'intéresse beaucoup plus à eux. 

Peut-on envisager un rôle thérapeutique à la musique? 

Le bon sens populaire mais aussi l'expérience clinique quotidienne nous ont appris que la psychologie autorise ou réprime des manifestations pathologiques. Le fonctionnement immunitaire luimême semble influencé par les conditions psychologiques. Françoise Dreyer, à la suite de ses expériences, dit : 

« ... Face à un contexte pathologique, sujets atteints de maladies organiques, personnes âgées, prématurés (elle ne s'en occupe pas), il est bon de privilégier l'emploi de musiques plus toniques afin de stimuler les capacités de défense physiologique et psychologique. » 

En conclusion, afin de diminuer l'isolement sensoriel du nouveau-né placé en incubateur pour différentes raisons, nous avons essayé de le relier à sa mère par un cordon ombilical sonore. 

Cette technique trouve sa pleine raison d'être chez les nouveaunés hospitalisés dans les centres de réanimation néonatale intensive, parfois fort éloignés de leur lieu de naissance. Qu'il s'agisse des enfants présentant une souffrance fœtale aigüe qu'elle pourra aider à reconditionner, mais surtout des prématurés ou des bébés de faible poids qui vont nécessiter une longue hospitalisation et, partant de là, une longue séparation d'avec la mère, séparation génératrice de troubles relationnels ultérieurs, enfants non accouchés, mal vécu par la mère, autisme, voire enfants victimes de sévices. 

Mais cette technique ne saurait ne aucun cas remplacer ce que l'on appelle l'haptonomie et les soins tendres apportés par l'équipe soignante. 

Mais dans un rêve ne pourrait-on envisager que la musique pourrait aider à faire sortir le petit humain plus vite de son incubateur ?



07/02/2013
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