ENFANTER LE LIEN - MERE - ENFANT - PERE- jeannette Bessonart

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285 - laisser passer l'émotion


page285 - laisser passer l'émotion

La naissance est fête/risque/vie 

Laissez passer l'émotion 

Dr MAX PLOQUIN  
obstétricien 

Etre bien dans sa peau pour vivre le lien mère/enfant/père 


     Bien dans sa peau, pour l'enfant. 

     On peut le savoir par des moyens techniques, mais aussi à la main en partageant avec lui beaucoup de tendresse, par l'haptonomie par exemple et par beaucoup de choses. 

     Bien dans sa peau, pour la mère et le père. 

     Il faut d'abord que l'accueil soit chaleureux, que le père soit accepté en salle d'accouchement, que la famille, si elle veut venir, soit aussi accueillie, quelle que soit l'issue de l'accouchement. 

     Il existe (outre les interventions des personnes connues, ayant le pouvoir, universitaires ou chefs de services) des milliers de sagesfemmes, puéricultrices, médecins accoucheurs, situés au plus bas de l'échelle hiérarchique, qui font un travail« de fourmi », de véritables découvertes, qui ont une vaste expérience et qui ne l'expriment jamais. Ces personnels sont très proches des femmes qui vont accoucher. Ils leur apportent un soutien constant, quotidien, communiquent complètement avec elles, voient leurs réflexes, leurs réactions, leurs manières de vivre. Ils partagent tout cela avec elles. Ils peuvent nous apporter beaucoup, mais le plus souvent, ils se taisent. 

     On se demande pourquoi. C'est parce qu'ils n'osent pas, parce que les «beaux parleurs» les impressionnent, ou bien souvent parce qu'ils pensent que ce qu'ils ont à dire n'est pas intéressant, parce qu'ils ont des doutes sur eux-mêmes. Ils ont perdu confiance en eux, en leur valeur, ils ont l'impression d'être insignifiants. Ils ont été dévalorisés par des gens qui « leur en ont mis plein la vue» et qui, en fait, ont moins de qualité qu'eux. Ils ont surtout l'impression que s'ils sortent du cadre de l'académie, on leur reprochera de faire des accouchements « sauvages », je dis bien « sauvages ». 

     Alors, si dans la bouche de certains, attendre patiemment sans intervenir durant toutes les phases de l'accouchement, sauf s'il y a urgence; si refuser un déclenchement parce qu'il n'y a pas deux jours de dépassement de terme; si ne pas faire d'épisiotomie systématique ou peut-être attendre ou la retarder; si ne pas mettre de perfusion dès le début de l'accouchement pour avoir une veine avec un peu d'ocytocique en quantité suffisante pour «équilibrer le travail» ; si ne pas mettre un monitorage constant sur le ventre de la mère alors que l'accouchement se déroule parfaitement, tranquillement et sans aucune espèce de complication; si ne pas proposer une péridurale systématique ou, à tout le moins, sans parallèlement proposer une très sérieuse préparation à la naissance; si faire durer l'expulsion plus d'une demi-heure ou d'une heure 1/2; si laisser ainsi passer l'émotion chaleureuse, fraternelle, une forte émotion de pleurs, de rires, entre la mère, le père, la famille et les personnes présentes; si valoriser ainsi l'effort, la rudesse du travail, la patience, l'amour et la tendresse; si tout cela est estimé comme une formule sauvage, alors je le dis « sauvage, mais sauvage d'accouchement et de naissance », je le dis bien haut: « vive la naissance sauvage» ! 

Laissez passer l'émotion 

     Le leitmotiv, c'est que l'émotion nuit; et je dis non, bien au contraire, laissez passer l'émotion tranquillement. 

     Effectivement, le fait d'avoir un masque chirurgical, un habillage chirurgical, la blouse blanche stricte, ne permet pas mettre les parturientes dans des conditions optimales de chaude relation affective avec son enfant et son compagnon; on ne peut pas dire non plus qu'il est aisé de déborder de joie et d'enthousiasme, avec des perfusions à chaque bras, un déclenchement artificiel, un monitorage lourd et la mise en place d'interventions nombreuses et variées. Et il n'est pas dans mes intentions de mésestimer ces formules d'accouchement - elles ont fait leur preuve - ni d'en discuter les indications. 

     Mais il est évident que l'application dogmatique d'un certain nombre de techniques risque de laisser au deuxième sous-sol la tendresse pourtant si nécessaire dans la naissance et dans la vie, la relation amoureuse, la complicité chaleureuse de deux êtres qui se comprennent, l'investissement affectif maternel et paternel, la relation psycho-affective en général. C'est un peu à cause de l'application d'une technologie trop dogmatique qu'il y a là un prétexte à interdire toutes ces effusions affectives, ces émouvantes manifestations. 

     Des exemples? Lorsque sont appliquées des doses médicamenteuses qui sont parfois aptes à détourner, voire à perturber, le comportement habituel d'une maman, qu'elles mettent dans un état second; ou quand le père et les enfants sont interdits de salle de naissance; ou quand la technique ainsi mise en place se situe dans un décorum de « crise» et suggère de dramatiques ou de tragiques éventualités qui font que tout le monde a la frousse, y compris l'équipe soignante. 

     Pourtant, je vais rappeler que l'accouchement, comme la tétée, sont des événements appartenant à la vie émotionnelle, à la vie affective, à la vie sensuelle, à la vie sensorielle, à la vie sexuelle. Tout l'environnement humain, matériel, le décor, prend une importance considérable où la mère doit se reconnaître pour être à l'aise. 

L'un des plus grands facteurs de vraie sécurité dans une maternité, c'est l'ambiance, l'atmosphère, l'espace, l'environnement, qui entourent la naissance. Elle donne confiance à tous, mères comme personnel soignant. Si cette ambiance-là est perturbée ou trop envahie par des éléments pourtant classiques de surveillance rituelle et technologique (matériel, machines, institution pesante, ou trop pesante hiérarchie), la confiance peut baisser très vite en même temps que la sécurité globale. 

Laissez donc passer l'émotion ... 

Au contraire, en laissant passer tranquillement l'émotion, non seulement la mère verra l'accomplissement de son activité responsable et reprendra vite le dessus; mais, chose inattendue, on pourra voir l'enfant trouver mieux sa voie dans sa progression, retrouver ses meilleurs axes d'orientation, de descente et de flexion. On diminue ainsi les fameux phénomènes de blocage de dilatation, trop connus des sages-femmes et trop souvent inexpliqués. 

Laissez passer l'émotion ... 

     Il est de plus en pius évident qu'elle fait partie des grandes expressions de la vie: elle est déterminante; elle est même un élément de stimulation motivante, vectrice d'énergie, et elle est souvent nécessaire à un individu pour lui permettre de s'orienter, de se réévaluer, de créer et de se réaliser. 

     Revoyez le film de Godard: Alphaville. Chaque personne peut faire ce qu'elle veut, a le droit à ce qu'elle veut (manger, dormir, sortir, danser, faire l'amour) comme elle veut, sauf à ressentir et manifester une émotion sous peine de mort. 

     Pas question de pleurer un ami qui meurt. D'accord pour faire l'amour à satiété; mais toute éjaculation, tout orgasme doit être exécuté froidement. La société actuelle et l'obstétrique ont des relents bizarres d'Alphaville. On a honte des émotions. Le système gamma qui les régit ne répond plus. 

     Mais il y a des femmes qui ont envie de crier en accouchant; elles veulent crier leur bonheur, elles veulent dire qu'elles jouissent, que la jouissance existe dans l'accouchement; elles ont envie de pleurer de bonheur et de joie; elles n'osent pas le dire. Pourquoi n'en parlons-nous pas? 

     En oubliant l'émotion dans la phobie qui est la nôtre, on est amené à faire baisser, paraît-il, le taux de mortalité néonatale. Alors qu'en même temps on accroît le taux de césarienne, le taux de forceps et d'instrumentation, et donc on augmente le risque maternel. On peut faire courir bien plus de risques relationnels, psychoaffectifs, de risques tout court, dans l'absence d'échange de tendresse qui nous lie à ceux que nous aimons. 

     Tout cela va peser très lourd pour l'enfant et pour la mère dans leur avenir. Que diable, laissez donc un peu les parents crier, vivre leur émotion dans la naissance et facilitez-la. Laissez-les entourer leur bébé dans le ventre avec leurs mains, parler à leur enfant, lui chanter quelque chose. N'ayez pas honte de montrer au père comment il doit mettre le bébé dans ses bras, pourquoi il doit appeler son enfant «bébé », et non fœtus. 

     Laissez l'enfant près de sa mère. Ne criez pas au scandale si les autres enfants vont voir leur petit frère ou leur petite sœur dans la salle de naissance. 

N'encombrons pas trop la salle de naissance de matériel de technique obstétricale. 

Écrire une nouvelle obstétrique 

     En fait, tout le monde dit que le matériel et la tendresse peuvent cohabiter. On le dit toujours; alors, faisons-le. 

     Il faut maintenant écrire une nouvelle obstétrique, démontrer calmement, patiemment à ceux qui ont été nos maîtres que les choses ont changé et qu'il y a maintenant d'autres formes de naissance, acceptables pour eux et souhaitables pour tous. En ce sens, nous sommes prêts à faire des efforts pour que ce consensus existe. 

     Il faut répéter que, même lorsqu'une haute technologie existe et est justifiée obligatoirement dans des cas précis de pathologie, elle n'empêche pas une approche psycho-affective chaleureuse ni la mise en place d'une série de mesures et de comportements qui permettent de franchir tranquillement le cap difficile. 

      Jean-Marie Cheynier dit avec raison: «quand l'accouchement est tellement compliqué, qu'il nécessite une haute surveillance médicale, la mère doit être plus entourée, chérie et protégée psychologiquement» ...

     C'est quelque chose de l'ordre du miracle si, après tout ce qu'elles ont entendu, vécu et lu, les parturientes peuvent reprendre leur sort en main et si les femmes parviennent à se réconcilier avec leur corps et avec les hommes ... 

     Pour mener à bien ces projets, j'ai bien sûr, comme tout le monde, des formules, des méthodes, tout un ensemble de moyens à proposer. Mais je voudrais vous demander de réfléchir sur ces thèmes qui conditionnent l'efficacité du lien père-mère-enfant: 

 avail physiologique normal, ne devrait pas être assorti de sensation douloureuse? Vrai ou Faux? 

S'il est vrai que l'utérus peut normalement ne pas être douloureux, car c'est un organe normal qui travaille d'une manière physiologique, alors les préparations à la naissance ne devraient-elles pas l'affirmer? 

Il faut redonner à la femme les moyens de se désaliéner de cette douleur (liée au travail utérin qu'on lui a infligé) par ses propres moyens, et non par des moyens artificiels médicamenteux. Il n'y aura pas d'équilibre et de communication affective, économique et sociale possible en dehors de la correction de cette injustice et de la destruction de cet énorme complot, institué par un système qui ne reconnaît pas que la femme est supérieure à l'homme physiologiquement puisqu'elle a la possibilité énorme, potentielle, de mise au monde d'un enfant qu'elle possède, et même si elle ne veut pas faire d'enfant ; 

2) Le langage, avec son cortège de signifiants, est une arme merveilleuse et terrible. Elle est contre nous et peut-être pour nous. Comment se servir à l'avenir de cette arme merveilleuse et terrible, à l'avantage des mères et des enfants? 

3) L'inconscient occupe la plus grande partie de notre activité et dans 90 % des actes de notre vie. N'est-il pas temps, pour les Français et Françaises que nous sommes, d'aller y faire un tour et d'y puiser nos solutions avec les conclusions que cela impose pour les préparations à la naissance. Faire causer l'inconscient. 

Reprendre son courage à deux mains 

Si j'ai pu vous convaincre que c'est de vous que vient le changement, alors je vous demande de vous regrouper pour convaincre nos maîtres, nos collègues et nos amis. 

Note de S.-F.M. - Les sages-femmes compétentes et autonomes, à travers le monde, connaissent bien cette émotion de la naissance. Elles vivent, avec les mères, les familles, depuis des millénaires, cette « nouvelle obstétrique », dont le Dr Ploquin parle si justement. Elles écrivent« l'obstétrique éternelle» de l'accompagnement global de la naissance, événement de vie et de santé dans un corps sexué féminin, dans une vie de parents, selon l'évolution des traditions et des techniques. 

Laissez passer l'émotion, oui ... Écoutez aussi le message des sages-femmes. 


 


07/02/2013
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