ENFANTER LE LIEN - MERE - ENFANT - PERE- jeannette Bessonart

ENFANTER LE LIEN - MERE - ENFANT - PERE- jeannette Bessonart

37- amour et harmonie


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Entre l'amour et l'harmonie... en France, être mère aujourd'hui 
MARIE BORREL journaliste

                                        
Être en harmonie 

    Avant d'être mère, il faut le devenir. Et ce moment particulier où se noue le lien entre la mère et l'enfant varie considérablement d'une femme à l'autre. Pour l'une, c'est au moment où elle se sait enceinte; pour l'autre, c'est lorsque l'enfant bouge dans son ventre, lorsqu'elle le voit à l'échographie, lorsqu'il naît, parfois même plus tard, dans les heures ou les jours qui suivent... ... Il y a, selon les parents, un fait déclenchant. Ils lient le sentiment qui les relie à leur enfant à un fait de départ. 
C'est souvent quelque chose de très anecdotique, mais ils ont la sensation que ça a commencé à ce moment-là. 

    Après, le lien se construit dans la vie quotidienne, dans le rapport avec leur enfant, mais il y a eu un déclic et qui peut se situer à n'importe quel moment. Cela démarre parfois dès la conception et peut aller jusqu'à l'accouchement. Il y a autant d'histoires qu'il y a de familles. On peut tirer très peu de constantes. La seule chose qui nous a semblé évidente en ce qui concerne les mères c'est l'harmonie très souvent rappelée. C'est un moment d'harmonie qui a permis la création du lien mère/enfant. Mais c'est une harmonie au sens très large parce que, selon la mère, selon son histoire familiale, son milieu de vie, ses désirs, sa profession, cette harmonie peut prendre des formes très différentes... Dans certains cas. des parents nous ont dit: «dès qu'on a su qu'il existait, on s'est senti parents.» Je pense à un jeune couple dont l'histoire nous a paru très particulière et significative. Ils nous ont raconté avoir eu du mal à faire cet enfant. Pendant 18 mois, ils ont fait des inséminations artificielles. Ils étaient obligés de se rendre dans une ville qui était à 120 km de chez eux. Cette implication très forte a fait que le jour où on leur a dit « ça y est», ils se sont sentis parents tous les deux, très fort. Tout le reste est passé après: grossesse, accouchement, le bébé, tout cela leur est apparu comme le prolongement de ce moment-là. C'est vraiment le témoignage le plus précoce que nous ayons eu, qui se situait très tôt dans l'histoire de la maternité. 

    Il y a aussi un élément qui revient souvent: c'est «le premier...», le premier coup de pied, la première tétée, le premier sourire, la première peur aussi. Cette harmonie dont je parlais tout à l'heure, des personnes l'ont sentie à travers une peur. Cela peut paraître contradictoire, mais une maman nous a dit «je me suis sentie mère au moment où j'avais très mal et je pensais que ce bébé-là avait aussi mal que moi; j'avais peur pour lui. C'est dans ce moment d'osmose que j'ai senti une harmonie entre lui et moi ». Il y a aussi une autre maman qui nous a dit «le lien, je l'ai senti quand le bébé était sous une lumière bleue parce qu'il avait une jaunisse. Je suis allée le voir; sa bande s'était déplacée de dessus les yeux et j'ai eu peur pour lui. Je me suis sentie mère pour la première fois. Avant, ça ne m'avait pas fait cet effet-là ». 

    Ce sont toujours des petits faits comme cela qui sont au départ de la création des liens. Si on prend les événements de façon plus chronologique, on arrive à l'échographie qui est aussi parfois un moment où se crée le lien. Mais c'est aussi très partagé. Il y a des mères qui disent « ça m'a perturbée de voir une image comme cela. J'avais une image de mon bébé dans la tête, et ce que j'ai vu sur l'écran semblait venir interférer et je n'aimais pas du tout cela. » Il y en a d'autres qui disent: « la première fois que j'ai vu ce petit truc bouger... le médecin m'a dit: voyez là son pied... sa main - cela a été sa matérialisation, et là je me suis sentie mère ». 

    Un autre moment où se crée cette harmonie, c'est la préparation à l'accouchement. Et là, toutes les femmes qui font référence à la préparation à l'accouchement comme étant un élément qui a favorisé leur rapport à leur bébé font référence à l'ambiance. C'est l'atmosphère, la chaleur des sages-femmes, c'est la possibilité de choisir la façon dont on veut vivre cette préparation. A l'inverse, les femmes qui disent que cela les a perturbées (ou tout au moins qu'à cette époque-là, elles ne se sentaient pas du tout prêtes à la création des liens) c'est toujours parce qu'on les avaient obligées à... Elles étaient dans une ambiance où elles n'avaient pas choisi ce qu'elles avaient envie de faire, parce que c'était trop médical, parce qu'elles avaient l'impression d'être malades, et non pas en train d'attendre un heureux événement. 

Se sentir responsables 

    On peut donc remarquer que le fait que les mères se sentent «propriétaires », responsables de leur grossesse, suppose qu'elles vivent ce moment-là selon leurs désirs et dans une ambiance d'harmonie avec le corps médical qui les entoure, avec les sages-femmes, avec le lieu de naissance, et tout cela favorise beaucoup la création des liens. 

    Ensuite, bien sûr, vient le moment de l'accouchement qui est un moment intense où souvent les liens se nouent. Le comportement de l'équipe soignante est souvent évoqué par les mères, soit dans un sens, soit dans l'autre, comme à propos de la préparation pour l'accouchement. 

    Pour certaines femmes, il semble que la médicalisation fasse un peu écran à l'émotion et qu'à ce moment-là, le moment d'émotion se passe après quand elle rentre dans la chambre, quand le bébé est à côté d'elle, quand le papa est là, au moment où se recrée la famille à la maternité. Mais tout ce qui s'est passé avant était un moment médical qui ne pouvait pas être révélateur de cette harmonie dont je parlais au début. A l'inverse, certaines mamans parlent avec beaucoup d'émotion du moment où on leur a posé le bébé sur le ventre, au moment où il a rampé jusqu'au sein et toujours parce qu'il y avait autour une atmosphère et une harmonie générales qui leur semblaient propices. C'est souvent quand le père est là. 

En famille 

    Un élément est revenu parfois: les mères regrettent que les enfants précédents, quand il s'agit du 2ème ou du 3ème bébé, ne soient pas là. Pas nécessairement pour être présents à l'accouchement, mais pour être là en suites de couches, deux heures après dans la chambre. Le fait que l'on a du mal à faire entrer les enfants en maternité leur semble perturbant. Elles auraient aimé, au retour dans la chambre, montrer le petit frère ou la petite sreur aussitôt à la famille. Il leur semble que c'est important pour la création de la famille, car souvent elles se sont senties vraiment mères au retour à la maison quand la famille était enfin réunie. 

La douleur éloigne... 

    A propos de l'accouchement, on ne peut pas ne pas évoquer la douleur. Et là encore, bizarrement, il m'a semblé que c'était évoqué en termes d'harmonie ou de dysharmonie. Il y a des femmes pour qui la douleur de l'accouchement fait écran par rapport aux sentiments. Il leur semble impossible de parler d'un sentiment vis-à-vis du bébé tant qu'elles ont mal, très mal. Et pour celles-là, la péridurale apparaît comme une solution miracle dans la mesure où ça leur permettrait d'être disponibles.
 
La douleur rapproche
 
    En revanche, d'autres femmes évoquent la douleur de façon bizarre... comme un moment, ou un lien, particulier vis-à-vis de leur bébé: «j'ai mal, il a mal, donc on est ensemble, et c'est à ce moment-là que je me suis sentie le plus près de lui pour la première fois ». 

Le couple 

    En suites de couches, il n'y a encore pas de constantes si ce n'est cette harmonie. Ensuite, c'est le moment de la première tétée qui est souvent un fait déclenchant pour les parents, et puis il y a aussi tout ce qu'on pourrait appeler l'environnement social, familial, culturel. 

    Tout d'abord le couple. Nous avons eu des témoignages de personnes qui nous disaient «pour le premier bébé, ça ne s'est pas très bien passé. Je ne me sentais pas bien avec cet enfant, parce que mon couple et ma vie n'allaient pas bien. A l'inverse, pour le second, c'est venu tout de suite et cela a été très beau parce que j'étais heureuse, le père était là. J'avais un homme dans ma vie avec qui je m'entendais mieux ». Finalement, cette harmonie autour du bébé facilite le lien qui peut se créer avec lui. C'est aussi à ce moment-là que certaines femmes ont évoqué l'environnement familial; rentrer à la maison après le séjour à la maternité, fatiguée, c'est un moment perturbant où on n'est pas disponible pour vraiment sentir le départ d'un lien particulier. Cela se fait plus tard quand elles sont reposées et disponibles, quand elles ont pris le rythme de la vie courante, souvent, il faut un moment d'adaptation pour que tout se normalise. 

    Un fait a été évoqué. C'est que les choses ne se passent pas de la même façon quand il s'agit d'un premier enfant ou d'un second ou troisième. Les femmes qui ont eu deux ou trois enfants disent que pour le premier, elles ont mis plus de temps avant de sentir la création de ce lien, soit, au contraire, que cela s'est fait tout de suite parce que c'était le premier. Alors que pour le second, c'est plus naturel, cela vient tout seul, elles ont plus de mal à donner un fait déclenchant, une origine à ce sentiment. Il est venu comme cela parce que c'était normal alors que le premier c'était plus magique et c'est resté gravé différemment.
 
L'harmonie quoi qu'il arrive
 
    A côté de toutes ces personnes qui nous ont répondu comme on le leur demandait en nous donnant leurs sensations, il y en a certaines qui nous ont dit :« franchement, on peut vous dire ce qui s'est passé au moment où j'étais enceinte, au moment où j'ai accouché, après... mais quoi qu'il ait pu se passer, j'ai la sensation que je n'aurais pas pu aimer mon bébé davantage ». Et là, il y a l'amour, l'investissement du sentiment sur le bébé, et les circonstances n'ont rien à voir là-dedans. Elles pensent qu'on aurait pu améliorer leur accouchement, qu'elles auraient pu se sentir mieux, avoir moins mal, être plus à l'aise avec l'équipe soignante, il aurait pu se passer des tas de choses qui soient mieux, cela n'aurait rien changé à l'amour de leur enfant. Là l'harmonie existe, quoi qu'il arrive. Mais ce ne sont pas là les témoignages les plus courants. 

Mères et pères: différents, mais ensemble 

    J'ajouterai deux faits à tout cela: d'une part, on a fait une séparation entre la mère et le père qui a semblé un peu artificielle. C'est vrai que les processus d'attachement sont différents chez les mères et les pères, mais quoi qu'il en soit c'est un processus qui se fait parallèlement et ensemble, même si on peut en analyser la genèse séparément et voir des différences significatives. On ne peut pas séparer aussi artificiellement qu'on l'a fait mères et pères. 

Dans la structure familiale élargie
     
    Un dernier élément sont les modifications dans les structures familiales. On vit actuellement la famille nucléaire, souvent les  grands-parents sont loin, et cela modifie les choses. Les femmes ont l'impression parfois que si elles avaient été plus près de leur famille, de leur mère, si la structure familiale au sens large avait été plus proche d'elles, le lien se serait fait différemment dans une atmosphère plus familiale, plus conviviale, et ça aurait changé quelque chose.   Enfin, en matière d'amélioration, les éléments qui nous ont été confiés ont tous trait à l'amour, la chaleur, l'harmonie, «nous laisser choisir, nous laisser le temps d'écouter notre bébé, prolonger le congé de maternité pour avoir plus de temps pour rester avec lui à la naissance, démédicaliser les visites prénatales car on a l'impression de se sentir malades alors qu'on est enceinte ». Ce qui paraît le plus essentiel c'est d'avoir une présence plus chaleureuse tout au long de la préparation à la naissance et de l'accouchement pour préserver cet amour et cette harmonie.
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Extrait du livre - ENFANTER le lien mère/enfant/père - publié par J.Bessonart pour sages-femmes du monde - editions Frison Roche Paris

 


07/02/2013
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