ENFANTER LE LIEN - MERE - ENFANT - PERE- jeannette Bessonart

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CRÉER DES LIENS
avec un enfant né prématurément

Programme « Mère Kangourou»
Dr HECTOR MARTINEZ, Dr EDGAR REY
pédiatres

 

Soins ambulatoires des enfants nés prématurément...


Une lumière d'espérance

    La manière ambulatoire de soigner les enfants prématurés dénommée «Mère Kangourou » porte ce nom grâce à l'espèce de marsupiaux, les kangourous, où les portées naissent avant la fin de la gestation. La nature a donné aux kangourous femelles une poche où se complète le temps de la gestation. A l'intérieur, les petits se réchauffent et s'alimentent jusqu'à ce qu'ils soient assez forts. 

Dans le monde, il naît annuellement 20 millions d'enfants prématurés et de faible poids. Le tiers de ces enfants meurt avant d'avoir eu un an. Neuf enfants sur dix, dont le poids n'excède pas 1000 g. meurent dans le premier mois. Dans les hôpitaux des pays en voie de développement, les enfants prématurés rencontrent un grand manque de secours, des infrastructures inadéquates, des infections gastro-intestinales, et, par conséquent, cela augmente les risques de maladies et de mortalité.

Compte tenu de ces problèmes, l'Institut pour la Mère et l'Enfant de Bogota (Colombie) développe la méthode des« Kangourou»depuis 1979.

Les principales modalités sont : 
- la chaleur qui est régénérée et transmise par le corps de la mère, peau contre peau;
-le lait maternel, qui non seulement alimente l'enfant, mais a aussi un effet immunisant qui protège contre les infections, même dans les milieux les plus pauvres.
Principalement, l'amour stimule l'enfant affectueusement; les caresses, la voix, les câlins et les battements cardiaques de la mère sont aussi des facteurs importants pour stimuler la respiration de l'enfant, car les arrêts respiratoires sont fréquents chez les prématurés.
En plus, le lien étroit entre « mère/enfant », la relation peau à peau garantit à ce petit être humain la force, l'appui et l'équilibre émotionnel que seulement une mère peut donner.
                   
 
    Le changement important qui survient dans la méthode « Kangourou» n'est pas au niveau du poids, mais au niveau des conditions dites « cliniques ». Dans la salle de naissance, le prématuré est réanimé et il reçoit tous les secours pédiatriques nécessaires. Ensuite seulement, l'enfant est remis à l'unité de soins intensifs ou directement à la mère.
    Dès le premier instant, ceci stimule et facilite la relation mère/ enfant. Elle doit assister journellement et participer aux soins intensifs pour allaiter son enfant, en même temps que le caresser pour le stimuler. Quand la mère ne peut pas allaiter son enfant, on extrait manuellement son lait, pour le lui administrer au « goutte à goutte» ou au biberon.
Si un enfant se trouve dans une bonne condition dite «clinique », même si son poids est en dessous de 2000 g à la naissance, il est envoyé immédiatement à la maison, pour être pris en charge par la maman et contrôlé régulièrement dans une clinique spécialisée au niveau des soins externes. De cette façon, plusieurs bébés ont été pris en charge dès la naissance avec un poids de 760 g.
    L'enfant est blotti contre le sein de sa mère, en contact avec sa peau et en position verticale pour éviter le reflux et la bronchoaspiration. Là, placé près de la mère et sous ses vêtements, l'enfant doit rester vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Dans cette position, l'enfant reçoit, non seulement l'amour et la chaleur de la mère, mais en plus, il s'alimente directement et fréquemment, comme il le désire, évitant les problèmes habituels d'une tétée isolée et prolongée (1).
(1) Une cassette vidéo intitulée La vie à fleur de peau présente la méthode « Kangourou» en Colombie et son extension en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas. 

    Lorsqu'il est nécessaire de prolonger le lait maternel, on donne un liquide spécial qui contient des protéines nécessaires aux prématurés. Jamais on ne recommande du lait de vache ou le lait en poudre. De cette façon, les infections intestinales et les problèmes allergiques dus aux protéines du lait de vache sont évités.

    Durant la consultation externe, on examine l'état physique et psychologique de l'enfant. On le sensibilise avec des audiogrammes thérapeutiques et des consultations ophtalmologiques. On le protège également avec des vaccins adéquats. Les mères reçoivent les instructions nécessaires pour l'éducation de l'enfant. On leur indique l'importance de l'alimentation et du lait maternel.

    De 1979 à 1986, nous avons reçu dans le programme «mère Kangourou », 1654 enfants avec un poids en dessous de 2000 g. 65 % d'enfants prématurés ont bénéficié de ce traitement à l'hôpital durant les trois premiers jours de vie et 87 % durant les 14 premiers jours de vie. Le poids gagné pendant la première année, par rapport au poids de naissance, fut récupéré en 4 mois 1/2. Une chose importante est à noter: le diamètre de la tête a récupéré environ 14 centimètres 1/2, et la taille de 28 centimètres.
La mortalité globale des 1654 enfants prématurés soignés dans le mouvement dit «ambulatoire» fut de 6 % seulement, et elle se partagea de cette manière:
- 9 enfants décédèrent avec un poids de moins de 1000 g ;
-- 52 enfants sur 413 décédèrent avec un poids de 1001 g à 1500 g ; - 44 enfants sur 1 201 décédèrent avec un poids de 1501 g à 2000 g. Le prix de revient de ce système pour les prématurés est peu élevé, grâce à ce programme simple et naturel. Le coût d'un enfant de 1000 g à la naissance dans un pays développé est de 5000 francs par jour (800 dollars). A Bogota, le coût pour un même enfant est de 600 francs (89 dollars), et pour le mouvement« ambulatoire» dans le programme «mère Kangourou », il est de 15 francs (2 dollars) par jour. Le même programme présente un avantage au niveau du coût/ bénéfice, car il permet une meilleure survie de l'enfant né prématurément, et il augmente également sa qualité de vie; ceci pour éviter aussi l'abandon de l'enfant fréquent dans ces cas.

    Le programme « mère Kangourou », avec l'hôpital ambulatoire et ses soins à la maison, a atteint des résultats bien meilleurs que l'alternative plus coûteuse d'une longue hospitalisation.

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L'affectivité et la haute technicité, c'est possible... La méthode Kangourou de Colombie en Grande-Bretagne 
Dr DOMINIQUE ACOLET pédiatre

 

Adaptation au monde occidental du « programme Kangourou» de Colombie


    Une des différences essentielles, c'est qu'en Colombie il y a beaucoup de bébés de faible poids (hypotrophes), et que le souci est de les renvoyer rapidement à la maison afin qu'ils ne meurent pas d'infection, parce que les hôpitaux sont surchargés. En Occident, nous avons la technologie afin que cela n'arrive pas. Notre recherche est de réparer la rupture qui se passe au moment de la prématurité entre une mère et son enfant.

Etre porté, provoque des sentiments de confort et de sécurité.

    Les mamans ont toujours porté leurs bébés contre elles afin de leur donner des sentiments de confort et de sécurité, et les interventions autour de la naissance pour améliorer celle-ci ont toujours interféré avec ces conduites ancestrales. La survie de prématurés de plus en plus petits et malades s'est payée au prix de séparation mère-enfant très important avec les conséquences de stress pour les parents et l'enfant qui culminent parfois avec le syndrome des enfants battus.
    Parmi les néo-natologistes, il existe un petit nombre, comme le docteur Martinez, qui ont essayé d'inverser la tendance et de faire que l'affectivité et l'humanisation rentrent dans les services de prématurés afin de favoriser le lien mère/enfant.

Le contact peau à peau: 1970, premiers travaux aux Etats-Unis

Les premiers travaux faits dans les années 1970 qui ont fait penser à l'importance de la relation mère/enfant sont les travaux de Klaus et Kennel aux Etats-Unis. C'était des enfants à terme que les mères regardaient quelques secondes et qu'on leur apportait à chaque tétée. Cela s'appelait «routine care». Dans un autre groupe expérimental, avec contact étendu «peau à peau» de la naissance à plusieurs jours, les mères passent plus de temps à calmer leur bébé s'il pleure, à le caresser, et cette différence persiste au-delà d'un an.

1974: en Suède

Quatre ans plus tard, en Suède, Dechateau fait 35 minutes de contact peau à peau pour des enfants à terme, avec un groupe contrôle. Les bébés qui ont eu le contact peau à peau pleurent moins. La lactation de la mère est prolongée.

1980-1985: «l'unité Kangourou» à Pithiviers (France)

En France, le docteur Odent, suivant la même éthique de soins aux prématurés, a gardé entre 1980 et 1985 une centaine d'enfants prématurés de poids moyen, de 1600 g à 2000 g avec l'incubateur dans la chambre de la mère. Il faisait déjà la méthode Kangourou sans le savoir. Le bébé était mis peau à peau sur la mère.

Docteurs Martinez et Rey: les pionniers en Colombie

Mais le pionnier des soins peau à peau précoce entre mère et enfants, c'est le docteur Martinez. Il a eu un impact très important dans les médias; les infirmières, les sages-femmes, ont été tout de suite très éprises de cette manière de soigner. Les médecins et les spécialistes ont été plus réticents. Une des réticences est qu'il n'existe pas de travail initialement scientifique de groupe contrôle. C'est cela qui fait que les personnes responsables (chefs de services hospitaliers) en Occident sont un peu sur la réserve. Il leur faut des expérimentations.

Expérimentation à Londres

Ce travail que nous avons effectué pendant deux ans à Londres dans un centre hospitalier universitaire, est important pour compléter l'idée révolutionnaire et pionnière du docteur Martinez.
Il fallait pour cela que le service soit déjà réceptif et que le personnel de néonatologie soit confiant et prêt à aider. Dès ce moment-là, les mères, comme dans tous les pays du monde, sont tout de suite réceptives; et en quelques secondes ou minutes, les pères aussi. C'est un moment d'émotion intense.
Quelques règles d'or que nous avions dans le service du Professeur Whithelow :
- le père peut toucher le bébé aussi tôt que possible;
- il n'existe pas de bébé, si malade soit-il, qui ne puisse être touché par les parents;
- les visites des parents sont encouragées;
- le père aide la mère aux soins du bébé;
-les autres enfants peuvent être présents dans le service des prématurés.

L'idée était, si la séparation pour quelques minutes ou pour quelques heures a des effets sur des enfants à terme, qu'est-ce que cela peut donner pour des bébés de moins de 1500 g qui vont être séparés pendant des semaines ou des mois? Les mères sentent de l'anxiété, de la culpabilité, de la colère, de la tristesse, un sentiment d'inutilité et la non-certitude que l'enfant va vivre.
    Nous avons commencé une étude pilote à Londres avec des bébés que l'on pouvait promener dans les couloirs. Pour les plus fragiles, les mères les prenaient sur un rocking-chair où la mère était inclinée à 60 % et confortable pour faire le contact peau à peau aussi souvent qu'elle le veut. L'enfant a une couverture sur le dos; et si les enfants sont très petits, on leur met un bonnet.
    Nous avons donc fait un travail randomisé sur des enfants de moins de 1500 g, et les objectifs de la recherche sont:
- Est-ce que les contacts peau à peau influencent le temps de visite? - Est-ce que les sentiments maternels et la perception du bébé sont influencés par le contact peau à peau à la sortie de l'hôpital et à six mois? - Est-ce qu'il y a des différences dans la conduite de l'enfant: sommeil, pleurs à six mois?
- Est-ce que le contact peau à peau prolonge la lactation?

    La population étudiée, représentait tous les enfants de moins de 1500 g à la maternité, sans problème respiratoire, de parents parlant anglais (à cause du questionnaire d'évaluation psychologique). Les enfants avec malformations congénitales ou hémorragies intra-crâniennes n'étaient pas exclus.

    Dans le contact peau à peau, l'infirmière introduisait l'idée eJ montrant des photos. Elle aidait à mettre le bébé sur la poitrine d la mère; le bébé portait une couche. A chaque fois que la mèr venait voir l'enfant, elle était encouragée à le faire. Il faut noter qu deux mères indiennes n'ont pas accepté le contact peau à peau. Je pense que dans leur culture il y avait une sensation d'impureté jusqu'à quelques semaines après la naissance, jusqu'à une cérémonie religieuse qui purifiait la mère.
Il faut noter que les mères du groupe contrôle avaient autant de support affectif par l'équipe, qu'on répondait à toutes leurs questions. La seule différence entre les deux groupes c'est qu'elles n portaient pas leurs enfants peau à peau. Elles pouvaient le porter dans les bras.

    L'évaluation psychologique se faisait par un questionnaire née natal que les mères remplissaient:
- « Vous sentez-vous confiante quand vous allez rentrer à la mai son? Ou non?
- Connaissez-vous votre bébé ou non?
- Vous sentez-vous détachée de lui ou très proche? »
Elles avaient le même questionnaire à 6 mois et un carnet. leur disposition pour noter à 5 minutes près la fréquence et la duré de l'alimentation, du sommeil, des pleurs, du temps passé dans le bras et du temps d'éveil.

Dans les résultats, on a pu noter:
- durée de visite identique pour les mères du groupe peau à peai et du groupe contrôle. Ce sont des mères qui viennent de très loir 50, 100 kilomètres de Londres. Elles passaient environ 30 minute par jour avec leur enfant.
- A six mois, les bébés du groupe peau à peau pleurent moins qu ceux du groupe contrôle.
- Une différence significative est ressortie dans la durée de l'allaite ment maternel au sein. Les bébés qui ont un contact peau à pea" sont allaités en moyenne 9 semaines contre 5 semaines pour ceu du groupe contrôle.
-: La mère se sent aussi confiante avec son bébé peau à peau  sImplement dans les bras.
- On n'a pas eu plus d'infection dans les deux groupes, ni plus de mortalité, ni plus d'accidents. Il y a eu deux décès dans chaque groupe.

    Mais ce que nous voulions savoir surtout, c'est comment de bébés si petits se comportent-ils au niveau de la mise en route de leurs grandes fonctions physiologiques: cceur, respiration, oxygénatlon dans une position si différente de celle instituée habituellement: c'est-à-dire allongés dans des incubateurs, alors qu'ils sont en position inclinée dans la méthode « kangourou ».
    D'autre part, sortis de l'incubateur, ne vont-ils pas prendre un refroidissement? Cela a été le sujet de la deuxième recherche que nous avons faite.
    Tout d'abord, il est très important pour les petits prématurés, surtout ceux limités en oxygène, de les faire reposer avec tout leur corps en appui contre la mère. Il ne faut pas les laisser se plier, sinon leur fonction d'oxygénation subit une baisse.
    D'autre part, pour les enfants présentant« la maladie des ventilés» et qui ont besoin d'oxygène en continu, le peau à peau en position semi-inclinée sur la poitrine de la mère est plus appréciable que couché dans un incubateur avec une « cloche» à oxygène. Plus que d'autres enfants, ceux-là doivent avoir notre attention. Il suffit de leur ajouter une sonde nasale à oxygène. Et la mère peut prendre son enfant.
14 enfants ont été étudiés; 9 avec des poumons normaux et 5 avec une maladie des ventilés: 3 respiraient à l'air et 2 avaient un cathéter nasal avec oxygène. Le poids moyen était de 1000 g (6001400 g poids de naissance). L'âge gestationnel était de 28 semaines (25-31 semaines). Ils ont été étudiés à l'âge post-natal de 35 jours en moyenne, au poids de 1500 g.
    Il a été étudié: l'oxygénation, les bruits du creur, la température chez des enfants allongés en incubateur et dans une position semiinclinée peau à peau contre leur mère.
Il n'y a pas de différence significative dans l'oxygénation des enfants des deux groupes.
Dans le groupe des enfants avec maladie des ventilés, on voit une différence significative de taux d'oxygénation s'ils sont couchés dans l'incubateur ou inclinés sur leur mère (60°). C'est l'inclinaison qui favorise une meilleure oxygénation.
    Pour l'étude sur la température, il a été sélectionné les trois plus petits ""enfants: 29, 26, 25 semaines avec un poids de 1000, 1100, 1250 g. Ils étaient nus, à l'exception d'une couche, et portaient un chapeau et une couverture sur le dos. La température ambiante dans l'unité de soins était de 26 à 29°.
    Il n'y a pas de déperdition de chaleur dans le contact peau à peau, la mère joue entièrement son rôle d'incubateur. Mais on peut voir comme ces enfants sont fragiles et petits. Car le fait de les sortir de l'incubateur, leur fait perdre quelques dizièmes de degré de chaleur qui sont vite récupérés contre les seins et la poitrine de la mère.
Quelques pères ont aussi pris leurs enfants peau à peau, et il serait très intéressant de savoir ce qui se passe dans leur tête et si cela peut modifier leur comportement paternel.
Je voudrais terminer en vous disant que le risque de mort par diarrhée pour un enfant dans le Tiers monde (Sud du Brésil) dans les deux premiers mois de vie, pour un enfant complètement sevré, est 23 fois plus grand que pour un enfant nourri au lait maternel.
Monsieur Martinez a été un pionnier et a montré que c'était possible d'élever un enfant si petit grâce à la mère. C'est le grand progrès non-technologique de cette dernière décennie en matière de prématuré. Nous avons pu confirmer scientifiquement son travail en l'élargissant à l'Occident.
Il est à souhaiter que cela soit élargi dans tous les services de soins des prématurés en France. Faire rentrer l'affectivité, main dans la main avec la haute technologie, dans les services de soins et de réanimation, c'est possible. 

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De Colombie aux Pays-Bas:
la méthode « Kangourou»
ou peau a peau:
un grand avenir pour le monde moderne

Dr RICHARD DE LEEUW pédiatre


    Placer un bébé dans une pouponnière pour prématurés immédiatement après la naissance à cause de la prématurité ou d'une autre pathologie est un événement de grande responsabilité. Pour la mère, cela signifie tout d'abord que l'enfant est éloigné d'elle (et du père). Elle ne peut pas s'en occuper elle-même et, en fait, cela n'est même pas possible. Elle est déçue que sa grossesse se soit terminée ainsi et peut même se sentir coupable. Les parents peuvent aussi être très effrayés que les choses tournent mal pour l'enfant, qu'il risque de mourir ou, dans tous les cas, qu'il ait des séquelles. A cause de la distance physique et de la confusion de tous les sentiments, dans le cas d'une naissance prématurée soudaine, les parents ne s'imaginent pas que le bébé est bien, et la mère n'acquiert pas assez sa confiance personnelle. Alors un développement normal de l'enfant peut être menacé.

    Pour l'enfant, cette hospitalisation signifie généralement une période de quelques jours ou de quelques semaines dans un incubateur. Pendant ce temps, il est exposé à de nombreuses situations déplaisantes: exposition continue à la lumière et au bruit du moteur de l'incubateur, examens médicaux de toutes sortes et soins de routine tels que prises de température et prélèvements de sang. Ces procédés et examens viennent toujours de façon impromptue pour le bébé.

    Dans l'ensemble, on peut dire que l'enfant reçoit trop de stimuli indésirables. Ces contacts sociaux absents ou défavorables empêchent un enfant dans un incubateur de se développer harmonieusement. Néanmoins, les soins médicaux nécessaires et vitaux ont le grand désavantage psychologique de rendre à risque à la fois le développement de la relation parents/enfant et le développement de la personnalité de l'enfant.

    Pendant les dix dernières années, il y a eu changement progressif dans les services de prématurés pour améliorer le contact parents/ enfant et rendre le séjour de l'enfant dans son incubateur plus plaisant. Les parents sont encouragés à établir le contact avec leur enfant en le touchant, aidant à le soigner, le serrant dans leurs bras, tirer le lait maternel pour que l'allaitement maternel au sein soit possible plus tard. Les bébés en incubateur reçoivent maintenant bien plus d'attentions personnelles et, en plus du contact médical et des soins nécessaires, le personnel de service a un contact non professionnel avec les enfants.
    Les sources psycho-analytiques ont indiqué que l'encouragement au contact cutané entre mère et enfant a une contribution très positive au développement psycho-affectif. L'application de la méthode kangourou pour les bébés en incubateur doit cependant être vue comme un élément dans toutes les mesures de soins qui doivent être prises pour améliorer les conditions psycho-sociales dans les services de prématurés.
    En plus de l'avantage psychologique mentionné, un autre argument pour avoir recours à la méthode kangourou, pour les bébés en incubateur (et particulièrement ceux nés prématurément), est le fait que la position verticale sur la poitrine de l'un des parents a un effet très favorable sur le mode de respiration irrégulière du nouveau-né prématuré.
A cause du développement incomplet de ces enfants, la régulation de la respiration est encore imparfaite. Des périodes de respiration très rapides alternent avec des périodes de respiration très lentes et même des pauses respiratoires. Cela est appelé la respiration périodique. Les pauses respiratoires se produisent régulièrement chez les bébés prématurés; et lorsqu'elles durent plus que quelques secondes, l'enfant est menacé de manquer d'oxygène.
    Pour cette raison, de jeunes bébés prématurés sont souvent mis sous enregistrement pour que les pauses respiratoires soient observées immédiatement. De nombreuses mesures sont prises pour prévenir et combattre les pauses respiratoires. La stimulation par de courtes et vives petites tapes est généralement suffisante pour que le prématuré se remette à respirer. Les médicaments qui stimulent le cerveau (tel la caféine) sont aussi efficaces en pratique en réduisant les pauses respiratoires. L'oxygène en apport exogène ou autres formes d'assistance respiratoire sont efficaces aussi, mais ces mesures énergiques ont leurs risques.
       Il est très clair que le fait d'être toujours allongé sur le matelas d'un incubateur n'est pas favorable à cela; beaucoup d'autres traitements de stimulation ont été essayés pour combattre les pauses respiratoires en position couchée. Des matelas à eau et matelas de balancement ont prouvé avoir quelques résultats. Les douces et longues caresses de l'enfant par sa mère ont un grand effet aussi. La respiration devient plus tranquille et profonde, et il y a moins de pauses.
    La méthode kangourou a un effet similaire, peut-être plus marqué sur la normalisation de la respiration. Lorsque l'enfant est allongé sur la poitrine de sa mère - où il reçoit la stimulation constante des mouvements de la respiration maternelle, son odeur, ses battements cardiaques et ses mouvements ordinaires -, on peut voir très clairement que cela a un effet positif sur sa respiration. Une recherche provisoire, dans laquelle la respiration a été enregistrée par machine pendant le port kangourou, l'a confirmé. Lorsqu'ils sont transportés de cette façon et immédiatement après, on enregistre plus de mouvements respiratoires qu'auparavant chez la plupart des bébés, et le nombre de pauses respiratoires est fortement réduit.
    Aux Pays-Bas, tous les enfants admis dans le service néonatal peuvent être traités par la méthode kangourou, qu'ils soient nés prématurément ou non. Les seuls cas où la méthode n'est pas applicable sont quand l'état du bébé est faible ou reste très instable. Cela s'applique en particulier lorsque la respiration doit être intensivement assistée avec un apport extérieur d'oxygène.
    Cependant, les enfants ayant un état légèrement plus stable, même s'ils reçoivent encore quelque aide respiratoire, avec un apport d'oxygène et une perfusion, peuvent aussi en général très bien supporter la méthode kangourou. Les enfants peuvent être kangourousés pendant 30 minutes à une heure ou même plus longtemps, deux à trois fois pas jour. Naturellement, cela doit être estimé individuellement et dépend aussi des capacités des parents. Le parent qui kangourouse peut s'asseoir, rester debout ou marcher, bien qu'il n'y ait pas souvent de place pour marcher dans un service de prématurés.

    Le bébé portant seulement une petite couche est sorti de l'incubateur et posé directement sur le buste nu du père ou de la mère. C'est plus facile si les vêtements propres des parents peuvent s'ouvrir devant; cependant, les bébés dans un état bien stabilisé peuvent être placés dans un tricot (un pull). Un écran est tiré si les parents désirent être en privé. L'enfant est placé dans une position plus ou moins verticale, avec la tête droite, pour éviter les problèmes d'alimentation. S'il est transporté par la mère, l'enfant peut se tenir entre les seins ou sur un sein, ce qui est plus confortable car il faut une partie charnue. Tout d'abord, une infirmière aidera à mettre le bébé en position kangourou, mais les parents peuvent y parvenir vite d'euxmêmes.


   
     La température de l'enfant restera bonne, pourvu qu'elle soit bonne au départ, si le bébé a sur lui une petite couverture et aussi longtemps que la température de la pièce ne sera pas trop basse. Si nécessaire, on peut tenir un masque à oxygène près du visage du bébé et aussi garder les électrodes d'enregistrement; quelques parents préfèrent cela, car c'est plus sécurisant. Pour les infirmières aussi, ces mesures donnent d'autres enregistrements des enfants dont l'état n'est pas encore très stable, et cela les rassure.
Il n'y a eu aucune observation d'infection avec cette méthode. Les parents sont avisés de donner une attention particulière à l'hygiène de leur poitrine. Mais les bactéries de la peau des parents doivent avantageusement combattre les bactéries hospitalières pathogènes. La sonde d'alimentation peut être maintenue pendant le transport «kangourou». D'ailleurs, la possibilité d'allaitement maternel augmente, car la succion forte des mamelons stimule le réflexe de montée laiteuse (la formation de lait commence avec la stimulation émotionnelle). Tirer le lait est aussi un peu plus facile; mais si le bébé est vraiment capable de sucer, il peut le faire tout seul.

    Les pères et les mères aiment le transport « kangourou». Cette méthode procure la possibilité d'un vrai ensemble, même si cela doit se passer dans un service hospitalier très occupé. Cela est extrêmement important, particulièrement avec un bébé prématuré qui doit être admis à l'hôpital immédiatement après la naissance et qui est continuellement isolé, reposant dans une couveuse. Le contact direct, physique, de cette méthode soulage la peur souvent ressentie pour un bébé que l'on sent vulnérable; de cette façon, il devient plus familier. Plus tard, les parents disent souvent que les sentiments parentaux viennent seulement lorsqu'ils commencent le transport kangourou. Ils disent aussi qu'ils continuent la méthode kangourou à la maison pour que l'adaptation de l'enfant soit plus facile.
    Les bébés apprécient très nettement le transport kangourou; ils deviennent plus reposés, relaxés, respirent plus régulièrement et profondément et peuvent communiquer avec leurs parents. Ce transport est une compensation excellente pour contrebalancer les nombreuses et souvent déplaisantes et inattendues activités médicales et de soins subies dans l'incubateur.
    Grâce à la méthode kangourou, l'enfant peut parfois sortir plus tot que prévu de l'hôpital, car les parents sont devenus familiers de leur enfant. Cependant, à la différence du procédé de Bogota, nous n'avons pas pour but de compléter le développement des bébés prématurés entièrement à la maison. 
    Aux Pays-Bas, la méthode kangourou entend combiner les avantages de bonnes facilités hospitalières et la chaleur des liens parentaux. 

    Une mère, pionnière dans la méthode kangourou, disait cela: 
    «Les mères des bébés prématurés peuvent allonger leurs bébés sur leurs poitrines pour établir le contact mère-enfant aussi naturellement que possible, aussitôt que possible après la naissance. Le bébé n'est plus allongé dans sa boîte de verre en continu. Votre bébé aime sentir votre peau chaude et vos battements cardiaques. Vous essayez de lui parler et de l'apaiser. Vous voyez votre enfant vous regarder et vous pensez même qu'il se moque de vous. Vous tapotez son petit corps.
    Voilà comment j'ai expérimenté le transport kangourou avec mon fils Mitchell, qui est né avec 14 semaines de prématurité, et c'est maintenant un bon petit garçon. C'est mieux de trouver un endroit tranquille où on se sent bien pour le transport kangourou. Donnez à votre bébé une couche propre et veillez à avoir un drap en flanelle chaude. Commencez avec la poitrine nue, enlevez aussi votre soutien-gorge. Vous sortez le bébé de l'incubateur et vous le placez entre vos seins, le visage de l'enfant vers votre sein gauche où votre creur bat. Entourez le drap de flanelle autour de votre bébé, puis mettez votre chemisier, cardigan ou autre vêtement. Allez et asseyez-vous, restez debout ou marchez, parlez, riez et caressez votre bébé. Après 30 minutes ou une heure, vous allez trouver dur de remettre votre bébé dans l'incubateur et vous vous impatienterez déjà jusqu'à la prochaine fois! »

Conclusion

    La méthode kangourou semble ainsi être une grande chose dans la surveillance des bébés prématurés. Dans les pays en voie de développement, cela est particulièrement le cas à cause des bons résultats et des faibles moyens que la méthode nécessite. Dans les pays développés, une des raisons est la recommandation des sciences du comportement qui dit que le contact de la peau entre parents et enfants est essentiel, surtout dans le soin technologique donné aux enfants en incubateurs.
    Cette méthode simple semble être une technologie appropriée pour les pays développés ou en voie de développement; et il est plutôt remarquable qu'une telle méthode, si peu sophistiquée, nous vient d'un Tiers Monde pauvre, dont la vie est difficile.

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L'unité « les Kangourous» - Clamart - France
Dr MICHÈLE VIAL pédiatre


    Concilier médicalisation et humanisation, tel a été notre objectif en créant l'unité de surveillance des nouveaux-nés dite « les kangourous ». Cette unité est située dans une maternité hospitalo-universitaire de la région parisienne. Elle est destinée à prendre en charge les nouveau-nés qui, du fait de leur prématurité, d'un petit poids ou d'une pathologie peu sévère, ont besoin d'une surveillance et de soins spécialisés. 
    Jusqu'alors ces enfants étaient, comme dans la plupart des maternités, transférés dans une unité de néonatologie qui, bien que située au sein même de la maternité, était distincte du secteur de suites de couches. La séparation qui résultait de ce transfert était toujours péniblement vécue par les parents, notamment par les mères lorsqu'elles ne pouvaient se déplacer, après une césarienne par exemple. D'autre part, cette hospitalisation signifiait pour les parents l'existence d'une pathologie, ressentie le plus souvent à tort comme grave, et donc source de beaucoup d'inquiétude. Séparation et inquiétude dont nous savons combien elles peuvent être préjudiciables à l'établissement de la relation parents-enfant, et surtout mère-enfant.
    C'est donc pour éviter cette séparation et pour dédramatiser ces situations que nous avons proposé un changement radical dans le mode de prise en charge de ces enfants: à l'inverse de la conceptIon traditionnelle qui veut que le patient, en l'occurrence le nouveau-né, soit amené à la structure de soins spéCialisée, nous avons décidé que ce serait les soignants qui se déplaceraient vers les enfants maintenus dans la chambre de leur mère.
    C'est ainsi que fonctionne, depuis un an et demi, cette nouvelle unité dite «les Kangourous ». Celle-ci dépend du service de réanimation néonatale de l'hôpital, dont elle constitue en quelque sorte une «antenne» en maternité. L'ensemble des soignants, médecins, infirmières, aide-soignantes, fait partie du service de néonatologie, mais travaille en étroite collaboration avec l'équipe des suites de couches, sages-femmes et infirmières. Les enfants admis dans cette structure font l'objet d'un prix de journée différent de celui de la mère, ce qui est essentiel pour obtenir les moyens en matériel et en personnel nécessaires, puisque le nouveau-né normal n'a pas d'existence administrative en maternité. Les locaux sont réduits au strict minimum, c'est-à-dire un poste central qui reçoit les enfants la nuit, et transitoirement dans la journée pour un soin particulier ou lorsque la mère veut s'absenter. Les enfants séjournent toute la journée dans la chambre de leur mère, y compris lors des visites. Tous les soins sont effectués conjointement par les mères et les soignants, en fonction du désir de celles-ci et, bien sûr, du degré de technicité nécessaire. Lors de l'admission de l'enfant, un livret d'accueil est remis à ses parents, leur expliquant le fonctionnement de cette unité, le matériel utilisé et les principaux soins.
    Les chambres des mères n'ont pas été modifiées, et ne sont pas distinctes des chambres de suites de couches, de sorte que peuvent cohabiter, dans une chambre à deux lits, une mère avec son bébé « normal» et une mère avec son bébé admis dans l'unité. L'enfant sort administrativement de l'unité dès qu'il n'a plus besoin de soins spécialisés. Si l'état de l'enfant le nécessite, sa mère peut rester à la maternité avec lui, au-delà de la durée (habituelle) de séjour, dans les limites de la prise en charge légale du postpartum, soit en principe douze jours. Au-delà de ce délai, il lui est proposé de passer avec son bébé dans le secteur d'hospitalisation mère-enfant du service de pédiatrie de l'hôpital, jusqu'à ce qu'ils puissent rentrer ensemble à domicile.
    Le retour à domicile n'est pour nous conditionné par aucun critère de poids minimum ou d'âge gestationnel, mais seulement par l'état clinique et l'autonomie du bébé, en particulier sur le plan de l'alimentation.
    Depuis son ouverture, l'unité a reçu environ 15 % des nouveaunés de cette maternité, spécialisée dans la prise en charge des grossesses à risque et qui a donc un fort taux de prématurité et de pathologie néonatale. La plupart ont été admis directement, à la naissance ou les jours suivants, et 1/5 d'entre eux après un bref séjour en réanimation. La durée moyenne de séjour est de 6 jours, variant en fait entre 24 heures et 2 semaines, parfois plus.
    Le bilan nous paraît très positif, mais il ne faut pas croire que tout est idyllique. Nous avons rencontré un certain nombre de difficultés et continuons à travailler en équipe pour les résoudre et progresser encore.

    Les principales difficultés sont venues, comme on pouvait s'y attendre, des soignants, car il n'est pas aisé de bouleverser aussi totalement leur mode de travail. Malgré leur motivation et une réflexion prélable de l'ensemble de l'équipe, les soignants ont été confrontés à plusieurs difficultés:
- d'une part, un sentiment d'insécurité, lié à la dispersion des enfants, qu'ils n'avaient plus sous les yeux en permanence, et donc à la nécessité de faire confiance aux mères pour partager la surveillance de leur bébé;
- d'autre part, la difficulté de travailler en permanence sous le regard inquiet, voire critique, des mères, de devoir expliquer et rassurer constamment, ce qui nécessite beaucoup de patience et de compréhension, et augmente d'autant la charge du travail;
- enfin, la nécessité de s'adapter à un changement dans le type de relation, qui de duelle soignant-enfant, est devenue triangulaire, soignant-mère-enfant, et donc de s'effacer derrière la mère, de ne plus prendre sa place auprès de l'enfant, ce qui est habituel et très gratifiant dans un service de pédiatrie «classique»: or il est souvent plus difficile, voire quelque peu frustrant, de «faire faire» ou de «laisser faire» plutôt que de faire soi-même.
    L'équipe obstétricale a accueilli et encouragé le projet avec enthousiasme, d'autant que tout transfert d'un enfant est ressenti par elle comme un échec. Les mères sont désormais informées, dès la grossesse, et particulièrement en cas de pathologie, de l'existence de cette unité et de notre préoccupation commune d'éviter toute séparation inutile.
    Les parents sont évidemment les principaux bénéficiaires et expriment pratiquement tous leur satisfaction d'avoir pu profiter de cette structure. Certains même la considèrent comme tellement « naturelle» qu'ils n'imaginent pas qu'il puisse en être autrement. D'autres manifestent une vive déception lorsque l'état de leur enfant, trop sévère, ne permet pas de le garder dans l'unité. Les bénéfices les plus évidents nous ont paru être:
- d'abord la dédramatisation de la pathologie, qui a parfois dépassé notre objectif, conduisant certains parents à contester les soins qu'ils jugeaient excessifs et injustifiés;
- ensuite, la « normalisation» de la situation, sur le plan social et familial, puisque la maman peut présenter son bébé à toute la famille, aux frères et sceurs, à toutes ses visites, et profiter sans réserve de ces moments si riches et si heureux;
- enfin, pour les mères, une revalorisation de leur capacité à être mère, souvent ébranlée par la naissance de cet enfant « pas parfait », grâce à une large participation aux soins.

    En conclusion, ce nouveau mode de fonctionnement, qui consiste à déplacer les soignants vers les patients, et non plus l'inverse, nous paraît un net progrès dans l'humanisation de l'hospitalisation en maternité et dans la préservation du lien parents-enfant. Cependant, il ne se conçoit qu'avec le souci constant de la sécurité de ces enfants fragiles et de la qualité technique des soins apportés. Une telle réalisation démontre que médicalisation et humanisation ne sont pas incompatibles, au prix certes d'un effort d'adaptation et d'organisation de toute une équipe.

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07/02/2013
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