ENFANTER LE LIEN - MERE - ENFANT - PERE- jeannette Bessonart

ENFANTER LE LIEN - MERE - ENFANT - PERE- jeannette Bessonart

259 - chez les Eipos en Nouvelle Guinée


page259- - chez les Eipos en Nouvelle Guinée

Naissance chez les Eipo Nouvelle-Guinée Mélanésie 
Dr WULF SCHIEFENHOVEL - etnologue 
Présenté par R. LEGROUX, sage-femme,Allemagne 


Les Eipo, habitants des terres intérieures d'Irian Jaya:  Nouvelle-Guinée - Mélanésie 

... Les femmes travaillent au jardin jusqu'à la dernière phase de la grossesse. Elles préparent les pousses pour les planter et les portent, à l'aide de fronteaux, dans les jardins. Elles creusent des trous dans le sol pour leurs plantations. Au bout de quatre à cinq heures, les femmes, même à la fin de leur grossesse, retournent au village en portant un fagot plus un poids moyen de patates et de légumes. Près d'elles, marche souvent un enfant qu'elles doivent parfois porter quand les chemins sont par trop impraticables. Les femmes, en dernière phase de grossesse (dont nous avons filmé le travail quotidien), restent physiquement presque aussi actives que les autres femmes non enceintes. Elles portent quand même des poids un peu moins importants et elles marchent un peu plus lentement et avec plus de précautions. Diabètes, hypertension, ainsi que d'autres maladies cardiaques et de la circulation sont extrêmement rares chez la population papoue vivant à l'intérieur de la Nouvelle Guinée (Jüptner, 1978). Ceci est valable seulement tant que des processus d'acculturation n'ont pas changé fondamentalement la nourriture et d'autres domaines de la vie traditionnelle. 



Bien préparées à l'accouchement 

     D'après nos observations, nous pouvons conclure que les primipares (âgées de 20 à 23 ans) et les multipares (jusqu'à environ 45 ans) sont, dans la plupart des cas, en très bonne santé et bien entraînées physiquement. Par ailleurs, elles ont l'avantage d'être mentalement et émotionnelle ment bien préparées à l'accouchement à vivre. Les jeunes femmes qui, encore petites filles, avaient pu donner quelques petits coups de main au cours d'accouchements, et qui avaient pu voir leurs mères, sœurs aînées, tantes et d'autres femmes accoucher, avaient pu également remarquer que, dans la plupart des cas, malgré les douleurs, les bébés venaient au monde «par terre» devrait-on dire en vérité, - car les enfants Eipo comme nous l'expliquerons ci-après - naissent «par terre ». 

     Les femmes Eipo considèrent leur rôle de femmes enceintes, de femmes mettant les enfants au monde et de celles qui élèvent les enfants, comme normal et tout à fait naturel, qu'elles soient mariées (en ce qui concerne la naissance d'un premier enfant, elles le sont dans la majorité des cas) ou non. Grossesses et naissances leur sont familières, non pas seulement faisant partie de la vie quotidienne, mais elles les rencontrent dans de nombreuses descriptions mythologiques. Ce qui est ressorti, par ailleurs, de nos investigations est qu'elles ont la possibilité d'exercer un contrôle sur le nombre de leurs enfants. Quand elles ont la conviction qu'un nouvel enfant serait une trop grosse charge pour elles-mêmes et pour l'enfant qu'elles ont déjà - dans ce cas-là et dans d'autres - elles commettent l'infanticide, ce qui se produit pour 20 à 30 % des nouveau-nés. 

     Dans notre système des valeurs, nous considérons l'infanticide comme quelque chose de cruel, mais ceci semble être une nécessité pour les Eipo. Sans cette intervention limitative, leurs ressources limitées seraient épuisées dans quelques générations. (Cette conclusion peut être tirée en faisant une comparaison avec des régions voisines dans lesquelles la population a considérablement augmenté à la suite d'une influence missionnaire.) La nécessité de l'infanticide semble aussi s'imposer, en comparaison avec d'autres pays du TiersMonde, en considérant le taux minime de mortalité infantile en dessous d'un an d'environ 40 à 60 pour mille enfants, nés vivants. Ces données reposent sur des études démographiques faites entre 1974 et 1980, ainsi que sur des rapports faits par des informateurs et informatrices concernant les Eipo. On peut donc dire que les femmes Eipo montrent une attitude positive envers le principe de la maternité, mais pas forcément envers un grand nombre d'enfants. 



Le travail de l'accouchement 

     Dès que la parturiente ressent des contractions régulières (<< medey » en langue Eipo, ce que l'on peut traduire, à peu près, par «la tête de l'enfant appuie sur le gros intestin »), elle se rend dans la maison des femmes (barye eik) qui se trouve, dans la plupart des  cas, à la lisière du village. Ces cases sont généralement très petites, et l'espace intérieur est réduit par le fait que les femmes y déposent des fagots pour pouvoir allumer du feu. Elles y passent les jours de la menstruation et du puerpérium. Certaines femmes souffrant d'une maladie grave, y vivent également parfois. Dans ces cases des femmes, viennent très souvent des visiteuses pour tenir compagnie à celles qui sont en menstruation ou en couches. Les femmes sont exemptes de tous travaux pendant la menstruation et s'occupent, à ce moment-là, de travaux manuels, tels que la fabrication des filets ou de bijoux. L'accès en est interdit aux hommes. Seuls sont acceptés certains guérisseurs que l'on appelle dans le cas d'accouchements difficiles ou posant des problèmes. Ces maisons de menstruation et d'accouchement sont donc quelque chose comme un lieu de rencontre pour les femmes et les jeunes filles; la contrepartie de la maison des hommes dont l'accès est interdit aux femmes et aux jeunes filles. 

     Les primipares reçoivent un traitement particulier: une femme désignée traditionnellement pour prendre soin des parturientes, c'est-à-dire généralement la mère de la femme en couches, sa belle mère, ou encore une parente ou amie, en tout cas une femme qui a déjà elle-même des enfants, la tient, la caresse, lui parle, apporte de nouvelles feuilles de fougère que l'on pose sur le sol pour recevoir le liquide amniotique, les glaires et le sang. Elles rendent ce moment à la parturiente aussi agréable que cela est possible, compte tenu du degré très primitif de cette civilisation en ce qui concerne le côté matériel. 

     Quand on assiste à ces accouchements, on a parfois le sentiment que la femme qui accouche et celle qui l'aide deviennent une seule personne, tant elles se tiennent près l'une de l'autre et sont constamment en contact épidermique. A chaque nouvelle contraction, les caresses, les massages, les étreintes, sont renforcés. Très souvent, d'autres femmes et jeunes filles sont présentes. On permet également aux nourrissons masculins qui sont encore portés par leurs mères, d'assister à cette «affaire de femmes ». On donne des conseils aux parturientes, surtout aux primipares: de quelle façon elles doivent s'accroupir ou s'asseoir, comment elles doivent pousser, qu'il ne faut pas toucher à la région génitale, etc... Ces exhortations sont données rarement sur un ton pressant et bourru. 

     Au cours d'un accouchement d'une jeune femme primipare du village de Wahaldak, nous avons pu remarquer que celle-ci résistait avec succès aux exhortations de sa mère et des autres femmes de ne pas s'allonger, mais de rester assise, de se mettre à genoux ou de s'accroupir. Elle est restée pendant de longs m0lI}:ents couchée sur le côté. Au cours de la phase ultérieure de la naissance, elle s'est pourtant conformée aux instructions et conseils de sa mère et des autres femmes. Ce principe des soins et d'une ambiance affectueuse créés autour de la femme en couches par une femme qui lui est connue et à qui elle est confiée dès le début des premières contractions jusqu'à l'expulsion du placenta et qui reste avec elle presque constamment en contact physique, est particulièrement frappant pour celui à qui il est permis d'assister à ces accouchements. Les multipares reçoivent généralement moins de soins. Dans ce cas, les parentes et amies viennent seulement si la naissance s'annonce difficile ou anormale. Si la parturiente a besoin d'aide, il y a très rapidement quelqu'un près d'elle. 

     Un élément du principe« Rends l'accouchement aussi agréable que possible» consiste dans le fait que la femme enceinte connaît très bien le lieu où elle accouchera. Souvent, elle s'y est rendue pendant ses menstruations ou pour rendre visite à d'autres femmes. Elle connaît la case, l'herbe, les buissons et les arbres autour, aussi bien que les femmes qui l'assisteront. Un autre élément du principe décrit consiste dans le fait que l'on traite la douleur provoquée par la dilatation de l'utérus, et les contractions par des méthodes archaïques de massages et de caresses de la peau, c'est-à-dire en utilisant des réflexes cuto-viscéraux, et aussi dans le fait que l'on donne à la parturiente le sentiment - par la voie d'une communication non verbale - que «tu n'es pas seule ». 

     Un facteur« magique» fait également partie de ces traitements pragmatiques. On fait appel aux esprits des morts pour qu'ils libèrent le canal permettant la naissance (kir angabuka), parce que dans l'imagination des Eipo, des esprits malveillants peuvent créer des barrages. De telles invocations que l'on adresse à une sphère invisible (mais existant sans aucun doute dans l'imagination des Eipo) du non-humain, d'un ailleurs, n'ont rien d'extraordinaire au cours de l'accouchement - beaucoup de gestes quotidiens s'accompagnent de telles invocations ou de prières. Le « naturel» et le « surnaturel» ont, dans la société Eipo, le même caractère de réalité. Les prières adressées aux esprits contribuent également à créer une atmosphère de calme et de confiance. 

     Le deuxième principe que l'on observe et qui devient évident dès les premiers instants, c'est que la femme qui accouche se tient dans une position verticale. H. Kirchhoff démontre dans ses ouvrages (Kirchhoff, 1977) que la position verticale est la position« classique» au cours d'un accouchement chez les« primitifs ». Les femmes Eipo sont debout, assises, à genoux, accroupies ou choisissent des combinaisons de ces quatre principes de base. 

     Un troisième principe s'ajoute à ce deuxième: la femme qui accouche choisit elle-même sa position. On pourrait trouver ceci contradictoire: et si elle préférait rester couchée, et même rester couchée sur le dos? En effet, il arrive parfois que, pendant l'accouchement, les femmes Eipo abandonnent la position verticale et se couchent sur le côté ou, pendant de courtes périodes de moins d'une minute, sur le dos quand elles changent d'une position latérale à une autre. Dans les premières phases de l'accouchement, nous les avons également vues prenant appui sur les genoux et les coudes en penchant le buste vers le bas. Elles avaient alors complètement abandonné la position verticale. Mais ces positions sont tout à fait une exception, et ceci doit être souligné. La plupart des femmes choisissent la position debout, assise ou accroupie. Nous n'avons vu aucune femme Eipo acouchant allongée sur le dos. Toùt comme M. Odent (1978-1979) l'a démontré en France, nos observations chez les Eipo ont également fait la preuve que les femmes, qu'elles appartiennent à une société « primitive» ou à une société industrialisée, sont très capables de trouver, au cours de leur accouchement, des positions idéales ou tout au moins convenables. Elles agissent, de façon évidente, en fonction du critère d'une douleur relativement moindre. Les femmes Eipo animées par le désir de trouver la position la plus agréable, changent souvent, elles se lèvent, marchent, se mettent à genoux, se couchent, s'asseoient, s'accroupissent; quand une contraction commence, elles se mettent généralement un peu plus dans la verticale. Entre deux contractions, elles se penchent un peu en arrière et semblent très bien récupérer. 

     Nous avions parfois l'impression que les femmes Eipo utilisaient, de façon très individuelle, et non pas d'après les normes, des techniques de relaxation - leurs visages devenaient très calmes et la fréquence des battements de leurs pouls diminuait. Il n'y a, toutefois, pas de tabou pour exprimer la douleur, les pleurs ou les cris au cours des contractions. Parfois, les parturientes exprimaient leur douleur par une sorte de chant qui, par sa mélodie descendante, était comme une expression musicale des pleurs. La même chose s'exprime de façon quasiment universelle dans les complaintes de nombreuses cultures. Les femmes craignent également que l'accouchement dure trop longtemps, qu'elles puissent mourir au cours de la naissance. 

     Au cours des six années dont nous avons le contrôle maintenant, aucun décès de la mère ou de l'enfant n'a été enregistré au cours d'un total de 83 naissances. Les femmes se souvenaient, pourtant, d'un cas qui avait dû se produire peu avant notre arrivée en juillet 1974, où la mère et l'enfant étaient décédés à la suite de complications pendant l'accouchement. Cette preuve est trop peu probante pour dresser un tableau objectif concernant la mortalité de la mère où on se réfère généralement à la 000 femmes. 

     Dans les cas que nous avons observés, ni les parturientes, ni les femmes qui les assistaient n'ont parlé de l'état ou du bien-être de l'enfant dans l'utérus; seule la condition de la parturiente semblait avoir de l'importance: elle était le seul objet de leurs soins et de leur attention. On essaie de lui rendre la situation aussi agréable que possible, de lui enlever douleur et appréhension. Les Eipo ont très peu de possibilités pour savoir quelque chose au sujet de l'enfant se trouvant dans le ventre de sa mère. Les préoccupations au sujet de l'enfant commencent donc seulement au moment de la naissance. Habituellement, les femmes ne boivent ni ne mangent, même si l'accouchement dure longtemps. Une jeune primipare a, pourtant, mangé et bu de très petites quantités dans la première phase. Son accouchement a duré environ 24 heures. Nous avons été étonnés de constater que les femmes, à une exception près, n'enlevaient pas leurs pagnes tressés en fibres végétales. On délie un peu les lacets qui maintiennent les différentes couches de ces pagnes. On enlève juste les pagnes supérieurs. La vulve reste pourtant couverte, même au moment où apparaît la tête de l'enfant. 

L'accouchement 

     Comme nous l'avons déjà noté, l'aide au cours d'un accouchement se limite à des actions extérieures, telles que massage de l'abdomen, des reins et du dos de la parturiente. Aucune manipulation ni aucun examen n'est fait sur les parties génitales, externes et internes. Dans de très rares cas seulement, la vulve a été examinée pendant la phase de l'expulsion. Aucune précaution n'a été prise pour protéger le périnée. Pourtant, environ 140 villageoises parmi celles que nous avons pu observer durant notre séjour de deux ans, ne semblaient souffrir de séquelles de leurs accouchements. 

     De toute évidence, les femmes commençaient à pousser elles-mêmes, quand elles ressentaient cette nécessité. Elles retenaient leur respiration pendant un court laps de temps pour utiliser la force du ventre, par moments tellement énergiquement qu'elles semblaient alors presque épuisées. Elles récupéraient pourtant très bien entre deux contractions. Vers la fin de l'accouchement, les femmes donnaient l'impression d'être décidées à pousser le bébé hors de l'utérus. Dans cette phase, nous avons parfois entendu de courts cris de douleur, mais nous n'avons pas entendu de pleurs continus; nous n'avons pas non plus remarqué, à ce stade, de résignation ou de désespoir. Dans six sur les sept cas rapportés, les femmes ont donné naissance à leurs enfants en position assise, qui était souvent asymétrique, car une jambe reposait plus ou moins directement sur la terre, tandis que l'autre était tenue en équerre à partir de l'articulation de la hanche ou du genou, tout en posant le pied fermement sur le sol. Dans un cas, l'accouchement s'est fait dans une position accroupie symétrique. Cette femme primipare s'est tenue avec les deux mains à un étai horizontal qui avait été fixé exprès dans ce but à l'intérieur de la case. 

     Ce qui était très étonnant pour nous, dans tous les sept cas, était la phase tout à fait spontanée des épaules et le glissement consécutif de l'enfant que ni la mère, ni aucune des autres femmes présentes, ne touchait ni ne tenait. De cette façon, l'enfant prenait une part active à la naissance. Dans la plupart des cas, on ne voyait par l'apparition de la tête en raison du pagne couvrant la vulve. Le laps de temps entre la sortie de la tête et la naissance des épaules s'étendait, parfois, sur plus de 20 secondes. 

     Dans la plupart des cas, le processus de la naissance, à proprement parler, se déroulait de façon régulière et sans mal. Les bébés étaient mis au monde, soit sur le sol en terre de la case des femmes sur lequel on avait posé quelques feuilles, ou sur l'herbe dans les alentours de la case, couverte de quelques couches de fougères (cyathea sp.). 

     Etant donné que la vulve se trouve à une distance maximale de 10 cm du sol, la tête de l'enfant touche terre relativement doucement. Les nouveau-nés qui, comme chez toutes les races noires, ont encore une peau très claire et très peu pigmentée, prenlaïent peu de temps après la naissance une teinte rose, même si d'abord ils étaient un peu cyanosés. Une petite partie des nouveau-nés poussaient, peu après la naissance, des cris, un enfant de sexe masculin urinait immédiatement. A part une courte inspection de l'enfant qui servait surtout à déterminer le sexe, les mères ne s'occupaient pas tout de suite de leurs enfants nouveau-nés reposant sur le sol entre leurs jambes. (Nous ne voulons pas parler ici de la pratique des infanticides perpétrés principalement sur les nouveau-nés de sexe féminin.) 

Placenta et cordon ombilical 

     Les parturientes restaient dans leur position verticale en attendant l'expulsion du placenta. Elles se massaient alors vigoureusement la partie latérale du ventre vers le milieu, en se servant de la paume de leurs mains, ainsi que des poings. Ce massage qui ressemble à la manipulation décrite par H. Baer, a pu être constaté dans la plupart des sept cas rapportés. La durée et la force utilisées pour ces massages variaient d'un cas à l'autre. Dans un cas, ce massage s'est fait presque caressant dans la région de l'aîne et du côté latéral du ventre; des formules « magiques» étaient proférées en même temps que l'on utilisait d'autres traitements. Ces invocations ressemblant à des prières et que nous avons partiellement transcrites et traduites, sont des témoignages vigoureux et riches en métaphores de la civilisation spirituelle des Eipo. 
     Tandis que la mère et les femmes qui l'entourent attendent l'apparition du placenta, elles commencent déjà à nettoyer le bébé, à l'aide de feuilles, du vernix caseosa et du sang. Elles ne se sont jamais servies d'eau, mais cela n'a rien d'inhabituel, car les Eipo eux-mêmes ne se sont jamais lavés ou baignés jusqu'à un passé très récent. Dans un cas, nous avons vu une mère retirant une glaire de la bouche de l'enfant; elle l'a fait à l'aide d'une brindille d'herbe et avec une telle assurance, comme si elle avait accompli un tel geste déjà souvent auparavant (ce qui n'était pas le cas). 

      Le cordon ombilical Cme num) n'a jamais été coupé avant l'apparition du placenta. La mère couvrait, tout d'abord, le placenta de quelques feuilles, ensuite on coupait le cordon ombilical à l'aide d'un petit couteau de bambou (fa). Ces couteaux de bambou peuvent avoir un tranchant comme une lame de rasoir, mais dans la plupart des cas, ils coupent plutôt mal. Il est nécessaire alors d'opérer plusieurs mouvements, comme s'il s'agissait d'une scie, avant que l'on puisse trancher le cordon. Nous avons été étonnés de ne remarquer aucune ligature, ni du côté de l'enfant, ni du côté du placenta. Malgré cela, le sang a coulé très peu, à l'exception d'un cas où environ 10 ml de sang se sont écoulés de la plaie du nombril. Durant les 10 à 20 minutes, jusqu'à l'apparition du placenta, les bébés restaient sur le sol entre les jambes de leurs mères qui, comme déjà remarqué, continuaient à rester dans la position assise ou accroupie. Cela signifie que le corps du nouveau-né se trouvait en dessous du plan de l'utérus. Les femmes Eipo ne relevaient pas les nouveau-nés avant l'apparition de la délivrance et avant que le cordon ne soit tranché. 

     Dans un cas, l'accouchement a eu lieu sous le soleil tropical brillant, vers midi - aucune mesure n'a été prise pour mettre de l'ombre sur les yeux du nouveau-né ou sur son corps. Mais on prenait soin d'écarter les mouches du corps de l'enfant. 

     La naissance, à proprement parler, était terminée au moment où le cordon était coupé. A part les cas où la naissance a lieu à l'intérieur de la maison de la menstruation, les mères se relèvent, prennent leur bébé reposant sur quelques feuilles dans leurs bras et se rendent dans la case des femmes. On répand un peu de cendre du foyer sur le nombril. Nous n'avons remarqué aucune infection des nombrils, ni constaté de tétanos dans la région du nombril. Le temps s'écoulant jusqu'au premier allaitement était variable. Une primipare a commencé à allaiter son enfant immédiatement après que le cordon fut coupé, d'autres attendaient environ deux heures. Aucun nouveau-né n'a été allaité avant l'expulsion du placenta et avant que le cordon ne soit coupé. A part le cas d'un enfant prématuré et qui est décédé au bout de trois semaines, tous les nouveau-nés buvaient bien et avaient une santé resplendissante. Nous n'avons pas remarqué de dépressions chez les mères, consécutives à l'accouchement. 

 


Discussion 

     Certaines conditions de vie chez les Eipo sont probablement à la" source de ces processus sans complications au cours des naissances: 

1) Les femmes sont pratiquement toutes saines, elles sont très bien entraînées physiquement, surtout en ce qui concerne l'état de leurs muscles et l'endurance ; 

2) La population qui vit isolée d'autres groupes représente une certaine unité au point de vue génétique (Büchi, 1981), ce qui signifie qu'il est très improbable qu'un homme grand et robuste puisse avoir un enfant avec une femme très petite, ce qui peut se produire dans la « situation de creuset» qui existe en Europe ou en Amérique du Nord. 

     En raison des deux points précités, la situation dans la société Eipo ne peut pas être comparée à la nôtre. Je suis pourtant convaincu que l'obstétrique occidentale peut apprendre certaines choses de sa sœur « primitive », et que les femmes, même vivant dans des pays industrialisés, auraient avantage à être mises au courant des processus de naissances chez ces peuples soi-disant « primitifs ». 

     Une différence évidente entre la population des montagnes de la Nouvelle-Guinée et celle de nations industrialisées consiste, par ailleurs, dans le fait que les femmes Eipo, à l'âge où elles étaient de petites ou jeunes filles, ont assisté à nombre de naissances, avant que leur propre heure ne vienne. Elles savent donc à peu près ce qui les attend - cela peut amoindrir la peur qui a un effet inhibitif sur la physiologie de la naissance (cf. Naaktgeboren et Slijper, 1970). Des jeunes filles et des jeunes femmes occidentales ont, à part au cinéma, rarement assisté à une naissance avant d'avoir leur premier enfant. Je suis d'avis que ce manque d'expérience devrait être comblé autant que cela est possible. Cela pourrait peut-être se réaliser si on permettait la présence de jeunes filles ou de jeunes femmes quand une de leurs parentes met un enfant au monde. II faut naturellement faire attention à ce que la présence d'une autre personne, en dehors du père, ne perturbe pas trop la routine régnant dans la clinique ou dans l'hôpital. De cette façon seulement, les jeunes femmes peuvent être témoins d'un processus, parfois empreint d'une animalité violente, mais également intime et tellement précieux au point de vue émotionnel, qu'est la naissance. 

     Etant donné les conditions de notre siècle caractérisées par de petits et très petits noyaux familiaux vivant en ville, dans une société anonyme, le partenaire ou le mari de la femme qui s'apprête à accoucher est, dans la plupart des cas, la seule personne avec qui elle a des relations très étroites et qui est également disponible, 
c'est-à-dire à pouvoir être appelée dans la salle de travail, où semble-t-il, beaucoup d'hommes sont un soutien psychique pendant l'accouchement. Par ailleurs, je ne peux pas considérer la présence du père de l'enfant comme un dogme, et je plaiderais, sans hésitation, pour la présence d'une amie ou d'une parente de la parturiente et avec laquelle elle se sent en confiance. 

     Ainsi que Kirchhoff(1977) et d'autres auteurs l'ont démontré, il y a 200 à 300 ans la position verticale était aussi habituelle pour les accouchements en Europe qu'elle l'est encore aujourd'hui chez les peuplades «primitives ». On peut avancer l'hypothèse que les femmes Homosapiens ont accouché, aux temps préhistoriques, accroupies, à genou ou assises, plutôt que couchées. A l'aide d'examens exacts et étendus, C. Mendez-Bauer et ses collaborateurs ont pu démontrer que des positions verticales au cours d'un processus d'accouchement ont des avantages justifiables sur celui-ci. Nous ajoutons que la naissance s'opère plus rapidement et avec moins de douleurs dans la position debout que dans la position couchée. M. Odent (1979 et 1976), et dernièrement également un petit nombre (mais qui va croissant) d'obstétriciens en Europe et en Amérique du Nord, ont introduit les expériences et les avantages reconnus en ce qui concerne la position verticale au cours d'un accouchement, dans leur pratique journalière. L'on peut supposer que cette évolution continuera à l'avenir: soit que l'on n'imposera plus aucune position du corps, soit que l'on se servira de chaises transformables, spécialement étudiées et adaptées aux besoins d'un accouchement. 

     Les études comparatives effectuées en Hollande, dans le domaine de l'obstétrique, surtout par C. Naaktgeboren, renferment des aspects intéressants également au sujet de la naissance chez les humains. Au cours d'une discussion à ce sujet, 1. Eibl-Eibesfeldt soulignait qu'à la suite d'observations faites sur des animaux, on pouvait tout à fait supposer qu'un événement extérieur perturbant le processus de la naissance, chez un être humain, surtout un changement de « territoire », pourrait avoir un effet retardataire sur l'accouchement. Si cette thèse s'avérait juste, on pourrait arriver à la conclusion qu'il y aurait avantage à ce que le lieu prévu pour une naissance soit aussi agréable et accueillant que possible. Etant donné que nous manquons, en Allemagne, de l'infrastructure nécessaire aux accouchements à domicile, le modèle hollandais ne pourra que rarement être appliqué chez nous. Mais on pourra peut-être trouver une solution intermédiaire qui consisterait à faire visiter aux femmes enceintes les lieux où elles accoucheront et où elles pourront se trouver à l'aise au moment de la naissance. A ce point de vue, M. adent a trouvé un chemin très favorable et tout à fait praticable: il invite des femmes enceintes dans sa maternité où elles rendent visite aux femmes et à leurs bébés qui viennent de naître. Dans une pièce  spécialement aménagée et équipée d'un piano, elles peuvent chanter et danser ensemble. 

Une autre idée d'Odent nous semble très valable à la lumière des observations faites sur les femmes Eipo : sage-femme et médecin ne devraient pas changer au cours d'un accouchement. Ceci se fait à Pithiviers de la façon suivante: une équipe de deux sages-femmes reste en service pendant environ 48 heures (si elles ne sont pas occupées, elles peuvent se coucher et dormir) ; durant les 72 heures suivantes, elles sont en congé. Ceci évite l'effet désagréable du changement d'une personne aussi importante que la sage-femme et qui a toute la confiance de la femme en train d'accoucher. 

     Médecin, devenu éthnologue sur le plan humain, j'ai tendance à considérer l'être humain, tout aussi bien celui qui peuple nos grandes villes que celui qui pose son pied sur une autre planète, sous l'angle de l'évolution de son espèce, des multiples adaptations aux pressions exercées par la sélection où le plus important parmi les primates montre une si grande similitude par rapport à ses parents dans le règne animal. Je suis convaincu qu'au cours d'un accouchement «normal» (que l'on peut escompter dans 95 % des cas), beaucoup de processus physiologiques et d'autres facteurs subtils s'enchevêtrent que nous n'avons pas encore découverts jusqu'à présent. Les interventions effectuées à l'intérieur de ces entrelacs délicats sans indication de la mère et/ou de l'enfant peuvent, le cas échéant, représenter une gêne sensible. Un autre domaine que je considérerais comme étant intéressant pour l'obstétrique, du point de vue psycho-physiologique, est celui de la douleur au cours de l'accouchement, et surtout la phase transitoire d'une très grande douleur à la délivrance soudaine dès la naissance de l'enfant, et que beaucoup de femmes vivent comme un moment de très grand bonheur. En théorie, il semblerait possible que les douleurs de l'enfantement et de la naissance même, ainsi que le brusque changement en un état sans douleur qui est fréquemment doublé d'émotions positives, jouent un rôle certain dans la préparation de la mère au processus important des relations privilégiées qui s'établiront entre elle et son nouveau-né. 

Traduit de l'allemand pas Ruth Fugmann-Soyer La Celle St Cloud - France 

Extrait de Die Geburt aus ethnomedizinischer Sicht, Friedr. Vieweg und Sohn, Braunschwerg / Wiesbaden. 




07/02/2013
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