ENFANTER LE LIEN - MERE - ENFANT - PERE- jeannette Bessonart

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163 - unité kangourou en France


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L'unité « les Kangourous» 
Dr MICHÈLE VIAL  
pédiatre 
Concilier médicalisation et humanisation, tel a été notre objectif en créant l'unité de surveillance des nouveaux-nés dite « les kangourous ». 
Cette unité est située dans une maternité hospitalo-universitaire de la région parisienne. Elle est destinée à prendre en charge les nouveau-nés qui, du fait de leur prématurité, d'un petit poids ou d'une pathologie peu sévère, ont besoin d'une surveillance et de soins spécialisés. Jusqu'alors ces enfants étaient, comme dans la plupart des maternités, transférés dans une unité de néonatologie qui, bien que située au sein même de la maternité, était distincte du secteur de suites de couches. La séparation qui résultait de ce transfert était toujours péniblement vécue par les parents, notamment par les mères lorsqu'elles ne pouvaient se déplacer, après une césarienne par exemple. D'autre part, cette hospitalisation signifiait pour les parents l'existence d'une pathologie, ressentie le plus souvent à tort comme grave, et donc source de beaucoup d'inquiétude. Séparation et inquiétude dont nous savons combien elles peuvent être préjudiciables à l'établissement de la relation parents-enfant, et surtout mère-enfant. 
C'est donc pour éviter cette séparation et pour dédramatiser ces situations que nous avons proposé un changement radical dans le mode de prise en charge de ces enfants: à l'inverse de la conception traditionnelle qui veut que le patient, en l'occurrence le nouveau-né, soit amené à la structure de soins spédalisée, nous avons décidé que ce serait les soignants qui se déplaceraient vers les enfants maintenus dans la chambre de leur mère. 
C'est ainsi que fonctionne, depuis un an et demi, cette nouvelle unité dite «les Kangourous». Celle-ci dépend du service de réanimation néonatale de l'hôpital, dont elle constitue en quelque sorte une «antenne» en maternité. L'ensemble des soignants, médecins, infirmières, aide-soignantes, fait partie du service de néonatologie, mais travaille en étroite collaboration avec l'équipe des suites de couches, sages-femmes et infirmières. Les enfants admis dans cette structure font l'objet d'un prix de journée différent de celui de la mère, ce qui est essentiel pour obtenir les moyens en matériel et en personnel nécessaires, puisque le nouveau-né normal n'a pas d'existence administrative en maternité. Les locaux sont réduits au strict minimum, c'est-à-dire un poste central qui reçoit les enfants la nuit, et transitoirement dans la journée pour un soin particulier ou lorsque la mère veut s'absenter. Les enfants séjournent toute la journée dans la chambre de leur mère, y compris lors des visites. Tous les soins sont effectués conjointement par les mères et les soignants, en fonction du désir de celles-ci et, bien sûr, du degré de technicité nécessaire. Lors de l'admission de l'enfant, un livret d'accueil est remis à ses parents, leur expliquant le fonctionnement de cette unité, le matériel utilisé et les principaux soins. 
Les chambres des mères n'ont pas été modifiées, et ne sont pas distinctes des chambres de suites de couches, de sorte que peuvent cohabiter, dans une chambre à deux lits, une mère avec son bébé « normal» et une mère avec son bébé admis dans l'unité.  L'enfant sort administrativement de l'unité dès qu'il n'a plus besoin de soins spécialisés. Si l'état de l'enfant le nécessite, sa mère peut rester à la maternité avec lui, au-delà de la durée (habituelle) de séjour, dans les limites de la prise en charge légale du postpartum, soit en principe douze jours. Au-delà de ce délai, il lui est proposé de passer avec son bébé dans le secteur d'hospitalisation mère-enfant du service de pédiatrie de l'hôpital, jusqu'à ce qu'ils puissent rentrer ensemble à domicile. Le retour à domicile n'est pour nous conditionné par aucun critère de poids minimum ou d'âge gestationnel, mais seulement par l'état clinique et l'autonomie du bébé, en particulier sur le plan de l'alimentation. 
Depuis son ouverture, l'unité a reçu environ 15 % des nouveau nés de cette maternité, spécialisée dans la prise en charge des grossesses à risque et qui a donc un fort taux de prématurité et de pathologie néonatale. La plupart ont été admis directement, à la naissance ou les jours suivants, et 1/5 d'entre eux après un bref séjour en réanimation. La durée moyenne de séjour est de 6 jours, variant en fait entre 24 heures et 2 semaines, parfois plus. Le bilan nous paraît très positif, mais il ne faut pas croire que tout est idyllique. Nous avons rencontré un certain nombre de difficultés et continuons à travailler en équipe pour les résoudre et progresser encore. 
Les principales difficultés sont venues, comme on pouvait s'y attendre, des soignants, car il n'est pas aisé de bouleverser aussi  totalement leur mode de travaiL Malgré leur motivation et une réflexion prélable de l'ensemble de l'équipe, les soignants ont été confrontés à plusieurs difficultés: 
- d'une part, un sentiment d'insécurité, lié à la dispersion des  enfants, qu'ils n'avaient plus sous les yeux en permanence, et donc à la nécessité de faire confiance aux mères pour partager la surveillance de leur bébé; 
- d'autre part, la difficulté de travailler en permanence sous le regard inquiet, voire critique, des mères, de devoir expliquer et rassurer constamment, ce qui nécessite beaucoup de patience et de compréhension, et augmente d'autant la charge du travail; 
- enfin, la nécessité de s'adapter à un changement dans le type de relation, qui de duelle soignant-enfant, est devenue triangulaire, soignant-mère-enfant, et donc de s'effacer derrière la mère, de ne plus prendre sa place auprès de l'enfant, ce qui est habituel et très gratifiant dans un service de pédiatrie «classique»: or il est souvent plus difficile, voire quelque peu frustrant, de «faire faire» ou de  «laisser faire» plutôt que de faire soi-même. 
L'équipe obstétricale a accueilli et encouragé le projet avec enthousiasme, d'autant que tout transfert d'un enfant est ressenti par elle comme un échec. Les mères sont désormais informées, dès la grossesse, et particulièrement en cas de pathologie, de l'existence de cette unité et de notre préoccupation commune d'éviter toute séparation inutile. 
Les parents sont évidemment les principaux bénéficiaires et expriment pratiquement tous leur satisfaction d'avoir pu profiter de cette structure. Certains même la considèrent comme tellement « naturelle» qu'ils n'imaginent pas qu'il puisse en être autrement. D'autres manifestent une vive déception lorsque l'état de leur enfant, trop sévère, ne permet pas de le garder dans l'unité. Les  bénéfices les plus évidents nouS ont paru être: 
- d'abord la dédramatisation de la pathologie, qui a parfois dépassé  notre objectif, conduisant certains parents à contester les soins qu'ils jugeaient excessifs et injustifiés; 
- ensuite, la « normalisation» de la situation, sur le plan social et  familial, puisque la maman peut présenter son bébé à toute la famille, aux frères et sœurs, à toutes ses visites, et profiter sans  réserve de ces moments si riches et si heureux; 
- enfin, pour les mères, une revalorisation de leur capacité à être  mère, souvent ébranlée par la naissance de cet enfant « pas parfait »,  grâce à une large participation aux soins. 
En conclusion, ce nouveau mode defonctionnement, qui consiste à déplacer les soignants vers les patients, et non plus l'inverse, nous paraît un net progrès dans l'humanisation de l'hospitalisation en maternité et dans la préservation du lien parents-enfant. Cependant, il ne se conçoit qu'avec le souci constant de la sécurité de ces enfants fragiles et de la qualité technique des soins apportés.

Une telle réalisation démontre que médicalisation et humanisation ne sont pas incompatibles au prix certes d'un effort d'adaptation et d'organisation de toute une équipe.

07/02/2013
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