ENFANTER LE LIEN - MERE - ENFANT - PERE- jeannette Bessonart

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174 - soignants et naissances difficiles


page174 - soignants et naissances difficiles

Aider les soignants à accompagner les parents dans les naissances difficiles Formation d'élèves sages-femmes 

FRANÇOISE JACOBS  sage-femme  Belgique 


     Avec une fréquence de 2 % dans notre pays et un taux d'hospitalisation élevé dans les centres de prématurés souffrant de malformations congénitales ou d'affections génétiques fréquemment sérieuses et souvent incurables, la naissance d'enfants porteurs d'un handicap est à la source de nombreuses difficultés pour ceux et celles qui les soignent. De plus, une enquête récente révèle que 82 % des soignants sont en proie à des réactions émotionnelles intenses, telles que malaise, colère, impuissance, tristesse, peur, culpabilité, pitié, besoin d'aider, besoin de comprendre et d'identification - ces divers sentiments les empêchent de percevoir l'ensemble des besoins des enfants et des parents, de définir et de réaliser le rôle qu'ils ont à remplir auprès d'eux. 

     En effet, à côté des soins de haute technicité que peut nécessiter l'état de l'enfant, il est primordial de favoriser l'établissement de liens entre l'enfant et ses parents, condition de sa reconnaissance comme personne humaine, et cela, alors que la famille est précipitée dans une crise majeure lors de la découverte du handicap. 

     Parmi les soignants, la sage-femme sera impliquée avec autant d'intensité que le gynécologue, le pédiatre et le généticien. Par sa proximité avec la mère, elle a, plus que tout autre membre de l'équipe soignante, un rôle de confidente auprès de ceux qui vivent ce bouleversement provoqué par la naissance de leur enfant porteur d'un handicap. 

     Tout au long de mon expérience de sage-femme enseignante, auprès des élèves infirmières puis des futures sages-femmes, il m'a été donné de constater que tous les groupes d'étudiant(e)s ont été demandeurs, à différents moments de leur formation, et sous diverses formes, lors de supervisions individuelles en stage ou en groupe, d'une aide, d'un soutien, voire même d'une formation en rapport avec ces situations. 

    Pour répondre à leurs besoins, nous avons eu recours à deux processus pédagogiques différents: 

-la première méthode consiste en l'organisation d'une journée de réflexion sur son propre comportement de sage-femme, au travers de diverses situations difficiles, voire même conflictuelles; 

-la seconde méthode consiste en l'organisation de réunions-discussions entre les étudiantes et une personne extérieure choisie pour le caractère particulièrement riche de son expérience, qu'elle soit d'ordre professionnel ou privé (ex: sage-femme au Nicaragua, maman célibataire ... ). 

     Le bilan positif de ce type de formation, et spécialement de la seconde animation, les souvenirs et implications qui subsistent encore chez d'anciennes étudiantes, ainsi que chez des intervenants ou animateurs, m'ont incitée à structurer ma réflexion afin de pouvoir appliquer cette méthode à l'approche du handicap. 

     Le processus pédagogique à mettre en oeuvre se devait donc de permettre une réflexion adéquate et la plus complète possible, pour chaque étudiante, de manière à intégrer cette approche aux trois niveaux de leur formation: 

-le savoir 
-le savoir-faire 
 -le savoir-être. 

     L'occasion se présenta à moi d'une manière imprévue. Des amis ont mis au monde une petite fille, atteinte d'une affection génétique grave: la trisomie 18. La généticienne, contactée par les parents, était connue des étudiantes auxquelles elle donne les cours d'embryologie et de génétique. Quant à moi, je vivais le privilège d'être le témoin extérieur de l'extraordinaire et émouvant cheminement de la famille entière, à partir des messages reçus de cette enfant, messages qui ne pouvaient être décodés que par un langage d'amour et de respect profond de l'autre, petite fille fragile, de douleur et de tendresse, qu'ils ont appelée: «Eve-Espérance ». 

     La méthodologie choisie pour le processus pédagogique fut divisée en deux étapes consécutives: préparation, rencontre. 

Préparation. aux trois niveaux du savoÏr 

Savoir: 
     Connaissance scientifique spécifique du handicap (trisomie 18), de la pathologie néonatale qui en découle, et des techniques de nursing à appliquer. 

Moyens utIlisés: 
- cours d'embryologie et génétique l'thologie néonatale 
- soins 

     Connaissances psychologiques relatives aux différents concepts: la théorie de l'attachement, les conduites instinctives, la parentalité, le deuil. Ils ont été essentiellement étudiés au cours de psychologie appliquée. 

Savoir-faire 
     Pratique professionnelle: techniques de soins. 

     Moyens à utiliser par les sages-femmes pour favoriser les relations précoces parents-enfants (ex.: collaboration avec le service néonatal). 

     Aide à la famille pour préparer la socialisation de l'enfant (famille - associations de parents, etc.) 

Savoir-être  
     L'objectif à poursuivre à ce niveau était de permettre aux étudiantes de se situer et de se sentir par rapport au problème. Le moyen utilisé fut la formulation individuelle, puis en groupe, de questions qui seraient ensuite transmises aux parents. Leurs interrogations concernaient les problématiques suivantes: 

-le diagnostic anté-natal ; 
-l'annonce du handicap; 
-les attitudes positives et négatives des soignants; 
-les ressources, découvertes, utilisées;
-les étapes du deuil de l'enfant parfait. 

La rencontre 
Acteurs: - Ève (vidéo) 
- les parents, 
- la généticienne consultée par les parents, 
- étudiantes, 
- animatrice: la monitrice. 

Durée prévue: 1 heure 1/2 Durée effective: 2 heures 1/2. 

     Celle-ci s'est déroulée suivant le schéma choisi par les parents: Bernard et Anne-Marie ont décidé de partager leur expérience en racontant leur histoire, depuis leur désir d'enfant, tout en restant attentifs, au fur et à mesure des situations explicitées, à donner leur propre réponse aux différentes questions préalablement posées. 

    Chacun des participants, soucieux de sa propre qualité de présence et d'écoute, s'est laissé imprégner par la profondeur des réflexions et des témoignages de Bernard et de son épouse. 

     Cela permit aux étudiantes non seulement de réaliser quelles pouvaient être les véritables attentes des parents confrontés à une telle situation, mais aussi de découvrir en elles des compétences jusque-là inexploitées, et d'accroître leurs connaissances par rapport aux nouvelles thérapeutiques ou ressources mises à leur disposition (dans le cas présent: osthéopathie, science de la nutrition infantile, massage sensori-moteur, associations de parents, ... ). 

Résultats 

Réactions observées auprès des étudiantes 

Réactions immédiates 
• émotion intense qui se traduisait parfois par des yeux trop brillants, voire des larmes, et une immobilité lourde de présence et de quasi-recueillement; 
• soulagement perceptible de toutes les élèves lorsque le papa déclare: « ... On ne vous demande pas de porter notre problème à notre place, mais de nous aider... » ; 
• réciprocité du partage des connaissances entre parents et autres participants. 

Réactions tardives 

. Changements d'attitudes: 
-« Avant cette entrevue, notre sentiment vis-à-vis de la vie d'un enfant atteint d'une telle pathologie, était sans nuance: la vie de cet enfant était un fardeau pour ses parents et pour la société. A présent, nous sommes aménées à réfléchir et à nuancer notre position» ; 
-«Le séminaire auquel j'ai participé m'a fait prendre conscience que les réactions du personnel médical et de l'entourage relationnel de la famille sont souvent des réactions de fuite. Ceci se passe parfois de manière inconsciente, sous le prétexte de la peur de « mal approcher ». Or, à la limite, cela semble faire plus de mal aux parents que la naissance elle-même ». 

. Changements de comportements: 
- contacts individuels spontanés à la fin de la rencontre avec les parents; 
- ultérieurement, les étudiantes s'informent régulièrement de l'état d'Eve et de la famille; 
- une étudiante s'exprime: «je crois que je vais reprendre contact avec une amie qui vient d'avoir un enfant handicapé ... j'avais peur. .. » ; 
- récemment, une « ancienne» discute de ce qu'elle entreprend avec une accouchée dont le bébé a été opéré d'un spina bifida ... 
- compréhension rapide et adaptation aisée de techniques de communication parents-enfants, telles que le massage sensori-moteur du bébé (technique de R. Rice) qui leur a été démontré le lendemain; massage comblant par ailleurs Eve et ses parents. 

Réactions de Madame la généticienne 

- « Il est indispensable de toujours rester en contact avec les parents, même quand la difficulté est énorme, et de leur consacrer autant de temps que nécessaire» ; 

- « On sait orienter les parents vers l'attitude la plus naturelle possible face aux problèmes qui vont surgir, en parlant de l'avenir proche et de choses réalisables» ; 

-« Le bon contact et la coordination entre les membres de l'équipe sont essentiels» ; 

- « Il faut réfléchir aux problèmes au fur et à mesure qu'ils se présentent et non anticiper... » ; 

- «Il ne faut jamais oublier que l'attitude des parents est le plus souvent le reflet de l'attitude des soignants ». 

Réactions des parents 

• «En préparant la rencontre, nous avons pu prendre du recul par rapport aux événements qui se sont bousculés depuis la naissance d'Eve. Nous avons fait, en quelque sorte, une analyse rétrospective de nos hésitations, de nos tâtonnements, des diverses solutions qui nous aident à mieux communiquer avec Eve (ex.: haptonomie durant la grossesse, prolongée par le massage du bébé) » ; 

• «C'est bon d'être écouté, de pouvoir parler de soi; il y a si peu d'écrits et de dits dans le domaine de la trisomie 18 » ... 

• «C'est une satisfaction de pouvoir faire le point avec des gens compétents et à qui on peut renvoyer l'image de leurs attitudes professionnelles » ; 

.« Quel réconfort de savoir que ce que l'on vit n'est pas perdu et peut aider d'autres, surtout des soignants» ; 

• «Cette réflexion nous aide à faire le deuil de l'enfant parfait» ; 

• « Ce partage rendait Eve très présente et témoignait de l'existence de sa spiritualité ... c'est un esprit dans un corps inadéquat...» 

Conclusion 

Un heureux concours de circonstances permit l'organisation de la première rencontre; ultérieurement, les contacts avec les associations de parents se sont révélés sources de nouvelles rencontres, et cela sans difficultés. «Qui ne cherche rien, ne trouve rien; qui cherche, trouve ». 

Cette expérience devrait être prolongée (et le sera cette année) par une journée de réflexion au cours de laquelle des jeux de rôles et d'autres techniques d'expression permettent aux étudiantes de mieux conscientiser encore leurs réactions émotionnelles, pour arriver à une meilleure qualité d'écoute et d'empathie. 

Il serait opportun de vérifier, à long terme, l'efficacité de pareilles méthodologies auprès des différentes personnes concernées: parents et enfants, étudiantes, sages-femmes et autres professionnels de la santé. 

Enfin, je laisserai la signature de ce document à Eve, Bernard et Anne-Marie: 

Tu es venue 
A la rencontre de nos rêves Rêve d'homme, rêve de femme, Tu es venue, petite Eve. 
Tu es arrivée 
Par un beau matin d'été. Tout était prêt pour la fête, Père et mère tranquillité. 
Tu es là, 
Et je suis un peu dans la lune. Je ris, je pleure, je pense ... 
Comme Pierrot penché sur sa plume. 
Petite femme, 
Suspendue au fil de l'amour paisible, Tu as fendu le bois de nos chaises, Tu as tôt fait de l'infini la cible. 
Tu serais là 
Toujours présente, amour intense, C'est vrai que tu t'appelles aussi Espérance. 




07/02/2013
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