ENFANTER LE LIEN - MERE - ENFANT - PERE- jeannette Bessonart

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53 - valentin, mon naître cher


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Valentin mon naître cher
Mais tu es sûre au moins? demande le chéri. Comment ose-t-il ? Evidemment que je suis sûre !... mes dernières règles datent du Il janvier, nous sommes le 27 février, fais le compte. Ta fille a cinq semaines, et, vue de loin, elle doit ressembler à un haricot rouge!
 
Valentine attendue... 
    Troisième enfant, troisième fête. Celui qu'on n'osait pas tout à fait mettre en chantier. Il est là, au chaud. J'en voulais, je l'ai, je le garde. Pouvoir stopper la course du temps, ces jours qui passent si vite, trop vite! Neuf mois de bébé, c'est si bon et si court. Et les deux aînés qui n'en peuvent plus d'attendre: mais maman, pourquoi ton ventre y grossit pas? Et leurs quatre petites mains qui vérifient sans cesse si ça pousse... A force de caresses, Valentine s'est mise à gratter dedans. Trois mois et demi déjà et quelques kilos en plus, les grands frères exultent: ça y est! T'es grosse! assurent-ils fièrement. Et c'est vrai, ça se voit! Valentine, coiffe tes boucles et fais ta cuisse potelée, on nous regarde... 

Rupture de la poche des eaux à 4 mois et demi 
    Premiers vrais jours d'été, mi-juin, retour d'école avec les petits copains. Tout ce joli monde rit, se court après en criant et constate l'enfer de la vie entre deux sauts de cabri: «maman, j'ai au moins quinze tonnes de devoirs» ; comme si elle participait à cette liesse générale, Valentine gigote vigoureusement. Mais où diable vont-ils  chercher toute cette énergie? 
    Et puis voilà, tout doucement de l'eau coule entre mes jambes. Oh t ce n'est pas une tempête ou un raz-demarée, non quelques gouttelettes tièdes et claires qui roulent le long de ma cuisse et viennent s'écraser sur le parquet. Les enfants n'ont rien vu. Seconde d'horreur pure. Je reste paralysée, droite comme un i, un cartable et deux cabas à provisions dans les mains. Je viens de rompre la poche des eaux, et mon petit bout de bébé a tout juste quatre mois et demi. 
    A la maternité, il ne faudra que quelques instants pour confirmer une rupture des membranes, constater la parfaite souplesse de mon utérus et l'excellente tonicité de mon bébé. Mais alors, et les contractions? Et la fausse-couche? Rien... Docteur, on fait quoi? Docteur est contrarié. Dans les livres, qui dit rupture des membranes dit accouchement dans les heures qui viennent, et à ce terme, fausse-couche. Mais pour faire une fausse-couche, il faut avoir des contractions; et des contractions, je n'en ai pas l'ombre d'une. Et puis une fausse-couche, c'est plus logique lorsque le bébé est mort. Le mien remue bras et jambes, indifférent au remue-ménage qu'il vient de créer. Un, deux, puis trois médecins m'entourent à présent. Ça bredouille dans les moustaches... infection... déclenchement... perfusion... Et moi, je pleure, je ne suis plus qu'une flaque. Pourquoi veux-tu partir, petite Valentine? T'étais pas bien chez moi? Comme pour me dire qu'elle m'aime, petite Valentine répond gentiment. L'eau coule un peu plus, vaguement sanglante. Perplexe, Docteur s'approche de moi et dit: «Il n'y a rien à faire, on attend encore quarante-huit heures, et si rien ne se passe, on déclenche ».
 
Prendre le parti de l'espoir 
    A partir de ce moment-là, tout bascule. Je passe la nuit la plus longue de ma vie, les yeux grands ouverts dans le noir, les deux mains accrochées à mon ventre qui ruisselle. Tu vas partir, dis «ma» bébé? Je t'aime, moi. Je veux rester avec toi. Tapie dans l'incertitude, Valentine bouge peu, elle garde ses forces pour la suite. Elle a tout compris avant les autres. Les ovules de prostaglandine ne seront pas pour elle. «Ma» bébé suivra le chemin qu'elle aura choisi. Rien ni personne ne lui dictera ce qu'elle a à faire. 

A l'échographie... c'est Valentin! 
    Dernière échographie. Valentine est un garçon. Les proportions sont normales. Aucune anomalie visible. Tonique. «Mais alors, avance faiblement la mere, peut-erre peut-on essayer de... garder un bébé dans ces conditions! » « Mais vous n'y pensez pas! C'est de la folie furieuse, ça n'a aucun sens! »Paroles d'hommes. Certitudes médicales et scientifiques. Messieurs, un peu d'humilité, que diable... Et l'amour, dans tout ça, vous en faites quoi au juste? La force de vie plus puissante souvent que celle de mort, la certitude instinctive, celle qui vient du fond de mon ventre et clôt cet utérus bien plus efficacement que n'importe quel cerclage, ça ne vous dit rien, n'est-ce-pas ?.. Maman, t'avais raison, la maternité est une affaire de femmes. D'ailleurs, seules deux femmes, l'une sage-femme, l'autre médecin, vont me faire entrevoir une alternative. A mes yeux, la seule possible, la seule humaine, la seule intelligente. On ne fait rien, on ne bouge pas, le petit homme choisira son destin. J'ai cru à cet enfant. 

« 59 jours de liens passionnels dans mon ventre» 
    Valentin va mettre cinquante-neuf jours à se décider; cinquante-neuf jours pendant lesquels lui et moi allons tisser la passion la plus délirante de nos vies, l'histoire d'amour la plus dévorante de nos existences. Cinquante-neuf jours pendant lesquels je ne vais pas cesser une seconde de croire à cet enfant, de lui dire mon désir de lui. Cinquante-neuf jours de tendresse à bâtons rompus, d'amour à l'état pur. 
    Cinquante-neuf jours d'angoisse et d'horreur aussi. Cinquante-neuf jours pendant lesquels ce tout petit bébé va répondre « présent» avec une force et une énergie qui me laissent encore pantelante. 

6 mois et demi: naissance, 930 grammes 
    Mon enfant est né le 9 août 1987, jour de la St Amour. Il pesait 930 grammes pour un terme de six mois et demi. Il a été transféré en SAMU dans un grand centre de médecine néonatale où, là encore, il n'a cessé d'étonner l'équipe soignante par sa force et sa vitalité. Il était dans une couveuse. J'y allais tous les jours, je restais des après-midi entières avec lui, à lui parler, à le caresser, à le prendre dans les bras. J'ai quasiment exigé de le prendre dans mes bras quand il a commencé à peser un kilo trois cents grammes. C'est un service hospitalier où cela ne se pratiquait pas du tout, mais je savais  que cela se faisait ailleurs. Comme j'étais en bons termes avec l'équipe soignante, j'ai exigé. Et presque tous les jours, malgré son intubation, on le sortait de l'incubateur. J'ai eu la grande chance aussi de tirer mon lait dès le début et de pouvoir le mettre au sein assez rapidement à 1 kg 600. Cela ne s'était pas trop vu dans le service. La mise au sein a été difficile, mais j'ai tenu bon, et je l'ai allaité pendant 13 mois, ça valait vraiment le coup. 

C'est à la fois une histoire banale, passionnante et passionnelle 
     Je l'ai sorti sous décharge de l'hôpital. Il pesait à peine 2 kg. Les médecins pensaient qu'il était trop petit. Moi, je leur disais que ça allait. Et pendant presque trois mois, j'ai retrouvé complètement la symbiose qui nous avait manquée. 

3 mois de symbiose avec Valentin pour finir la grossesse 
    J'ai vécu avec lui tout le temps dans les bras, j'ai dormi avec lui parce que c'est une espèce d'attachement. Je ne me suis pas dit «je dors avec cet enfant parce qu'il n'est pas bien ». C'est quelque chose qui s'est fait d'une façon instinctive. Je me suis rendue compte que d'abord par commodité il n'était pas bien tout seul, dans son petit lit et sa chambre. Il était cent fois mieux avec moi dans mon lit. Nous avons vécu comme cela très, très proches pendant trois mois, et, petit à petit, une rupture s'est faite tout doucement. Il a commencé à prendre un rythme de petit bébé un peu plus autonome, à retourner dans son lit et... la routine aidant, il est devenu un petit peu plus grand.
 
Un lien maternel complètement abouti... 
    Cela a été une expérience très, très enrichissante. Sur les trois enfants, c'est probablement lui avec qui j'ai le lien maternel le plus complet. C'était une histoire tellement folle que c'est un lien maternel complètement abouti. Je ne peux pas réussir mieux. C'est un bébé auquel je crois et c'est fondamental. Nous avons une relation de connivence qui fonctionne énormément sur le senti, sur la sensation, et je pense qu'il va bien progresser parce qu'il croit en lui beaucoup. 
Grâce aussi aux frères aînés 
Il y a aussi un facteur important: ses deux frères aînés l'ont ressenti avec beaucoup de respect. Il n'y a pas eu de jalousie qui aurait été oh! combien normale, vu les conditions de sa naissance. Ils l'ont accepté comme un guerrier qui revenait de la guerre, qui avait vécu des choses tellement atroces qu'il fallait faire attention à lui, être très doux et très attentifs avec lui. Je pense que j'ai réussi ma relation avec Valentin parce que les deux frères aînés étaient là.
 
Et grâce au mari 
    Enfin, j'ai un mari qui m'a donné toute latitude. Il avait très peur de cet enfant. Mais il a veillé à ce que j'aie toute la disponibilité pour pouvoir m'occuper de cet enfant confortablement, comme j'en avais envie. Je suis une mère au foyer, et cela a été capital pour moi de ne faire que de m'occuper de Valentin pendant tous ces mois.
 
Valentin va bien 
    A l'heure actuelle, je pense que c'est un bébé qui va bien, psychologiquement et physiquement, parce qu'il y a eu une telle force entre nous. C'est un bébé qui n'a jamais montré ces symptômes d'irritabilité que l'on prévoit chez les prématurés. C'est un bébé qui est très calme. Au grand étonnement de l'équipe médicale qui prend ce calme comme pathologique. Il faut que les médecins qui suivent les prématurés arrêtent, au nom de cette prématurité, d'en faire des enfants malades. Au nom de la prématurité aussi, on a un peu trop tendance à hospitaliser systématiquement et rapidement ces enfants. La médecine fait son métier, mais elle fait aussi prendre des risques à un bébé que de le séparer de sa mère dans les dix premiers mois de la vie, surtout quand ils ont eu tellement de mal à créer des liens. 
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Extrait du livre - ENFANTER le lien mère/enfant/père - publié par J.Bessonart pour sages-femmes du monde - editions Frison Roche Paris

 

 

07/02/2013
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