ENFANTER LE LIEN - MERE - ENFANT - PERE- jeannette Bessonart

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215 - ne pas mourir en donnant la vie


page215 - ne pas mourir en donnant la vie

CRÉER DES LIENS à la naissance lors de la mort de mères en couches 

Sauvons les mères ou ne pas mourir en donnant la vie 

JEANNETTE BESSONART sage-femme 

     Enfanter, donner la vie ... 
     Porter un corps dans son corps ... 
     Et cet espoir de vie que l'on fait naître un jour, tellement différent et semblable à l'être que l'on attendait... 

     Goûter au bonheur définitif et intime d'accueillir son enfant au milieu des siens ... Créer des liens entre mère/enfant/père et avec toute la famille élargie et accompagner l'être qui vient au monde, pendant toute la vie, en facilitant le meilleur et en essayant d'éviter le pire ... 

     Vivre le bonheur. .. 

     C'est cela être mère, et des millions de femmes vivent cet événement dans le monde. Sages-femmes, nous avons lajoie de participer à cette histoire faite d'émotions et de joies, et nous voulons ce plaisir pour chaque mère. Dans cette complicité que nous échangeons avec les mères, nous savons bien que donner la vie fait partie de la vie et a ses risques que l'on appelle destin, soucis, drame. 

     Or il existe aujourd'hui, dans le monde, une situation indigne  de la conscience universelle et de la nécessaire solidarité internationale telle qu'elle est définie dans la Déclaration des droits de l'homme. 

     Cela nous inquiète beaucoup et nous lançons un S.O.S. pour les mères. 

     Savez-vous que, encore en 1989, chaque jour, 1 500 femmes meurent en couches? En fait, l'équivalent de 3 avions (de 500 femmes) qui, accidentés, entraîneraient dans la mort toutes les passagères enceintes ou venant d'accoucher! Qui en parle? 

     Nous sommes tous concernés et, quelque part, responsables par notre silence et notre ignorance. Il existe plusieurs raisons au silence qui entoure la mortalité maternelle périnatale: 
1)« La mortalité maternelle est une tragédie que l'on a négligée parce que les victimes sont des pauvres, des paysannes et surtout parce que ce sont des femmes ... » (M. Mahler - OMS). 
2) Les 60 mères qui meurent, chaque heure, sont isolées, sans puissance médiatique ou politique. Elles meurent solitaires, dans des régions sous-développées et souvent d'accès difficile. Imaginez que chaque heure, un autobus de 60 femmes, les unes jeunes encore mais usées par les travaux et les autres adolescentes, soit accidenté et que toutes ces femmes meurent ... 24 autobus chaque jour! et près de 1 500 mères décédées! Cela devrait faire parler les médias qui se mobilisent pour des choses plus futiles. Et cela devrait aussi faire réfléchir nos consciences! 

     Oui, chaque année 500000 femmes meurent en couches (99 % dans le Tiers-Monde et 1 % dans les pays industrialisés). On peut comparer deux chiffres de mortalité maternelle: 
- En Afrique, 3 pour 100 femmes meurent en couches. 
- Au Danemark, 2 pour 100 000 femmes meurent en couches. 

     Deux grandes catégories de causes transforment, trop souvent, cet événement de joie en malheur familial: 

- Causes environnementales (économiques, sociales, politiques) internationales et nationales. 
- Causes médicales et obstétricales. 

Causes environnementales internationales et nationales 

Au niveau international 

Tant que la nécessaire solidarité et l'indispensable justice ne s'exerceront pas complètement entre les peuples du monde: 
- pour l'achat des matières premières à leur juste valeur et la remise de la dette des  pays pauvres; 
- pour les échanges des connaissances techniques et scientifique; il ne pourra pas être question du développement harmonieux de la planète, ce sont les femmes du Tiers-Monde qui paient le plus lourd tribut à la mort en couches: « Dans le monde, elles font les 2/3 du travail et ne gagnent qu' 1/10e des revenus. Elles sont les plus pauvres parmi les pauvres ... » (M. Conable - Banque mondiale). 

     Cette situation de sous-développement chronique entraîne une aggravation de «la dette» des pays du Tiers-Monde envers les pays industrialisés et une coupure du monde en deux, selon l'axe Nordi Sud de la planète, encore que de plus en plus les pays industrialisés voient se développer des «poches» de misère. Ce déséquilibre dans la répartition des moyens de vie, est dangereux, non seulement pour les pays du Tiers-Monde, mais pour les pays industrialisés, car c'est une situation qui engendre: famine, révolte, révolution, guerre, mort. 

      Nous avons commencé à citer ce facteur international favorisant la mortalité maternelle périnatale, car c'est en grande partie de la résolution de ce problème international que dépendront la réussite des politiques nationales de santé et de l'entraide humanitaire internationale. 

A ce sujet, je ferai deux remarques: 

• Les efforts faits, actuellement, pour la réussite de la maternité, ressemblent, dans beaucoup d'endroits, à cette eau que l'on verserait dans une jarre sans fond ... à cause de l'incidence d'une mauvaise gestion globale du monde! (cette image nous a été donnée par une sage-femme africaine). 

• Il me semble absolument injuste, comme on peut l'entendre dans de grands colloques internationaux, à propos de la mortalité maternelle périnatale, de reprocher à tel ou tel groupe de praticiens de santé, et particulièrement aux sages-femmes, la responsabilité de la mort des mères en couches! Sont à mon avis responsables tous ceux qui, particuliers ou gestionnaires publics nationaux et internationaux, ne donnent pas aux sages-femmes les conditions d'exercer leur métier de prévention pour une maternité réussie. 

Au niveau national 

On peut noter comme causes environnementales dans le Tiers Monde que: 
- La part des budgets nationaux qui, en matière de naissance sera fonction de la dette extérieure et du pillage des richesses par les pays riches, mais aussi de la corruption intérieure et des « turbulences» politiques. 
- Il faut ajouter aussi les facteurs suivants: 
. grande disparité entre villes et campagnes; 
. poids des traditions et statut de la femme; au Bengladesh, 90 % des femmes de 13 ans sont mariées, et au Népal 70 %. D'autre part, beaucoup de femmes, de par le monde, subissent encore des mutilations sexuelles. Et le poids des traditions est encore lourd quant au nombre d'enfants qui « seraient» une richesse; 
. analphabétisme accentué chez la femme et poids du travail; 
. malnutrition endémique entraînant des anémies touchant 2/3 des femmes enceintes en Afrique; 
. manque d'infrastructure routière et médicale de transport; 
. manque de matériel médical. 

     Dans les pays industrialisés, grâce aux progrès des sciences humaines et médicales, mais surtout à cause de l'évolution des conditions d'hygiène, d'alimentation, on voit une diminution importante du taux de mortalité infantile et maternelle périnatale. 

     Cette évolution, due à l'infrastructure médicale, mais surtout sociale et politique du développement, peut à un moment donné engendrer un danger: la médicalisation et la chirurgicalisation systématiques de la maternité, considérée alors comme une maladie et non comme un événement de la vie. Le docteur Wagner, de l'Organisation mondiale de la santé, a bien expliqué ce danger. 

On peut voir apparaître alors: 
• des décompensations psychologiques par négation de la «confiance en soi» ; 
• des maladies de surabondance: obésité, hypertension ... ; 
• des pathologies dues à la médicalisation systématique, avec inflation, par exemple, du nombre de césariennes et d'analgésies péridurales; 
• des maladies de pauvreté et de quart monde dans les pays riches. Aux Etats-Unis, les menaces d'accouchements prématurés touchent 2,7 fois plus les femmes de race noire ou portoricaine et pauvres. 

     Au niveau médical, il sera donc important de faire une analyse fine et sérieuse de l'évolution du taux de mortalité maternelle périnatale dans les pays occidentaux, et les recommandations des assises nationales des sages-femmes à Royan en 1976 restent vraies: 

«La réduction de la mortalité maternelle doit rester un des objectifs de la pratique obstétricale actuelle ». (P. Grosieux) 

Au niveau des systèmes de soins et des agents de santé 

On peut noter: 
. manque de formation et de recyclage des personnels de santé (80 % des femmes dans le monde accouchent sans l'assistance d'une sagefemme diplômée; 
. concentration des personnels de santé dans les villes; 
.  difficultés pour les gouvernements de planifier les soins de santé; 
. absence de surveillance prénatale par tradition ou manque de structure proche. On retrouve chez les femmes décédées en couches, une grande proportion de gestantes n'ayant pas eu de suivi prénatal régulier, voire aucun suivi prénatal; 
. manque de matériel médical; 
. absence de politique de planification familiale pour espacer les naissances; 

. influences des politiques internationales des grands organismes financiers (telle la Banque mondiale) qui orientent les actions de santé face à la naissance, quelquefois de manière arbitraire et paraissant inadaptées sur le terrain. 

Causes médicales et obstétricales 

Hémorragies (pendant la grossesse, l'accouchement et aussitôt après ... ) 
. par anémie endémique+++ ; 
. par grossesse extra-utérine; 
. par atonie utérine et rétention placentaire. 

Traumatisme obstétrical 
. long travail d'accouchement surtout pour les primipares; 
. fatigue du muscle utérin par grossesses rapprochées et nombreuses. Les ruptures utérines et les hématomes placentaires touchent surtout les multipares et (ou) les accouchements« laborieux ». Dans les pays du Tiers-Monde, plus de 10 % des ruptures utérines surviennent sur utérus non césarisés, mais épuisés par des grossesses successives. Il y a alors risque d'hystérectomie compromettant la procréation et la stabilité du ménage; 
. disproportion fœto-pelvienne. 

Infections puerpérales 
. manque d'hygiène (peu d'eau ou par tradition) ; 
. long travail d'accouchement; 
. rupture prématurée des membranes; 
iii anémie - malnutrition; o avortement provoqué. 

Syndromes vasculo-rénaux +++ 
. hypertension - éclampsie; 
. chocs embolie pulmonaire; 
. thrombo-phlébite cérébrale; 
. embolie' 
. chocs an'esthésiques et transfusionnels. 

Affections médicales ou chirurgicales antérieures ou contemporaines de la grossesse, aggravées par celle-ci 
. anémie endémique = anémie sévère de la grossesse;
. diabète, maladies cardio-vasculaires; 
. etc. 
-Age (plus de 40 ans - moins de 20 ans) 
- Drogues 
- Les interventions chirurgicales et la césarienne qui augmentent de 

10 fois le risque relatif de la mortalité des mères (Docteur Bérardi). 

Que faire? 

     La prévention de la M.M.P. (du début de grossesse à 60 jours après l'accouchement) passe nécessairement par une analyse précise sur le terrain des causes des décès. 

     Des actions existent déjà pour diminuer la mort des mères et vont s'étendre, d'autres vont être créées. 

      Elles sont d'ordre individuel: s'informer, réfléchir, se sentir solidaire, soutenir financièrement; mais aussi d'ordre collectif, comme les actions des organisations gouvernementales et nongouvernementales et de la communauté internationale. 

Quelques réflexions préalables me semblent nécessaires: 
. Importance de faire une médecine sociale qui respecte le contexte local et les circuits traditionnels de soins. La médecine s'inscrit au sein d'une «société-communauté» avec ses traditions, ses cultures, ses habitudes ancestrales, son degré de développement ou de sous-développement. Il ne peut donc y avoir de développement sanitaire en matière de naissance sans un développement général d'un pays avec: 
. alphabétisation - éducation sanitaire - eau - alimentation suffisante - logements décents - infrastructure routière et médicale normales - stabilité politique - absence de guerre et de corruption - augmentation du niveau de vie. 

     Il ne peut y avoir de développement sanitaire sans politique globale de soins de santé primaires et secondaires avec: 
• facilités de transport en ambulance ; 
• médicaments; 
• vaccinations; 
• planification familiale; 
• extension de centres de prévention primaire dotés d'un minimum d'équipement médical et chirurgical pour intervenir en «urgence ». 

     En fait, il faut une adéquation entre: 
-la formation du personnel de soins; 
-les lieux d'exercice; 
- le matériel. 

Ce qui est proposé: 

- former davantage de sages-femmes ou d'accoucheuses traditionnelles ... 
- renforcer le réseau de soins de santé primaire ... pour dépister les grossesses; 
- campagne de planification (M Mahler, OMS 1987 - Nairobi). 

     Ces soins ne devraient pas coûter plus de 2 dollars par an et par habitant... 
Il suffirait, selon les experts, d'investir un seul dollar par an et par habitant pour diminuer de 25 % en dix ans la M.M.P. 
     La Banque mondiale s'est engagée à verser un million de dollars pour le « fonds pour la maternité ». (M. Conable, Banque mondiale 1987 - Nairobi) 

La femme et les enfants d'abord

     Environ 500 000 femmes meurent chaque année des causes liées à la maternité ... La recherche du concret: espacer les naissances, éduquer les femmes (UNICEF). 
     Lorsqu'une femme, vivant dans l'un des pays les plus pauvres du monde, tombe enceinte, le risque qu'elle en meure est de 100 à 200 fois plus grand que celui que court une femme enceinte dans un pays riche. 
     Nombre de problèmes de M.M.P. pourraient être résolus si une assistance médicale et sociale appropriée était disponible: 
- formation des accoucheuses comme un premier pas essentiel en soins de santé primaire; 
- infrastructure de soins pour complications; 
- créations de « maisons d'attente» à proximité des maternités pour les femmes qui habitent loin; 
- favoriser la planification familiale. 
(OMS Information - décembre 1985 n° 99.) 
- création de centres de soins primaires dans les zones rurales permettant une césarienne; 
- développement des soins prénataux; 
- former les sages-femmes; 
- rôle primordial des sages-femmes dans la surveillance de la grossesse, avec formation au dépistage des pathologies à confier aux spécialistes ... 
(Fédération internationale des gynécologues obstétriciens - 1988- Rio). 

     Quelques décès maternels sans doute resteront difficilement évitables. Mais le plus souvent, la reconnaissance des grossesses à risques maternels devrait permettre d'espérer une baisse sensible de la mortalité des mères ... 
(Assises nationales des sages-femmes - Royan - 1976) 

Le projet de Sages-Femmes du Monde 

Dans le cadre de sa décennie des mères (1986-1996) appelée «Réussir la maternité », Sages-Femmes du Monde" met en place un programme d'information et de formation intitulé: A chaque mère dans le monde, une sage-femme compétente

     Information par la publication d'un dossier sur la mortalité maternelle périnatale. 

     Formation et recyclage des élèves sages-femmes, des sagesfemmes diplômées et des accoucheuses traditionnelles dans le monde. 

     En préalable, il nous paraît important de rappeler ceci : 
- Depuis l'aube de l'humanité et dans tous les pays du monde, des femmes occupent une place privilégiée de proximité avec les mères dans l'art des naissances pour les rassurer, les soigner durant leur vie procréative. 
- Accoucheuses, matrones, ventrières ... sages-femmes, selon les époques et les pays, nous nous tenons devant ou à côté d'une femme pour l'accompagner à devenir mère. Nous avons aussi mission de promouvoir la santé publique pour les familles et les nations. 
- La maternité physiologique et la prévention des risques obstétricaux sont notre priorité. 
- Nous voulons donc que soit reconnu l'indispensable corps professionnel des sages-femmes dans la politique de prévention maternelle et de santé publique de chaque pays; nous veillerons à ce que les sages-femmes soient formées à tenir cette place. 
     Il nous semble surtout important, pour diminuer la MMP, de réfléchir à partir de concepts positifs de vécu des naissances: 
- qu'est-ce que la maternité physiologique? 
- que sont les pathologies obstétricales? 
- quel est l'environnement de la naissance? Et son influence sur la maternité? 
     Avec ces analyses, nous allons bâtir ce que nous devons faire pour « protéger la maternité» et par voie de conséquence diminuer la mortalité maternelle périnatale. Nous compléterons ces analyses grâce à l'histoire des sages-femmes depuis l'aube de l'humanité jusqu'à nos jours, avec les évolutions des suivis de la maternité selon les époques et les pays. 
     Nous pouvons dire que, par exemple, en France nous avons pendant de nombreux siècles - exercé comme « accoucheuses traditionnelles rurales », jusqu'à ce que la formation reçue dans l'évolution des sciences et des techniques nous permette d'acquérir des compétences supplémentaires et, j'espère, complémentaires. 
     On peut regretter que dans les pays industrialisés, actuellement, sauf pour les Pays-Bas, les sages-femmes soient trop formées d'une manière technique et chirurgicale à un travail d'exécutantes des prescriptions des médecins dans une naissance devenue maladie, plutôt que comme praticiennes totalement responsables de la maternité physiologique et du dépistage des pathologies obstétricales. 
     Il serait une erreur de vouloir aligner tous les pays du monde et, en particulier, les pays sous-développés à une évolution occidentale qui ne peut être un modèle, en particulier dans la prévention autour de la maternité. 
     Nous pensons plutôt adopter une attitude de recherche, d'écoute, de solidarité avec nos collègues sages-femmes des pays sous-développés telle qu'elle nous a été recommandée par la conférence internationale des sages-femmes en 1987 à La Haye, et que l'expérience de chaque corps national de sages-femmes serve à ses collègues des autres pays. 

Nous veillerons à faciliter: 
-le recyclage des sages-femmes en soins de prévention ou de santé primaire, en actes d'urgence (exemple: délivrance artificielle et révision utérine ... ) ; 
- la formation des accoucheuses traditionnelles dans des contacts réguliers; 
-le soutien des écoles nationales de sages-femmes; 
- le soutien des associations nationales de sages-femmes; 
-les échanges professionnels entre sages-femmes de différents pays par des jumelages, stages, congrès, voyages d'études. 

     Pour servir de lien entre les sages-femmes du monde, nous allons éditer un Traité de la pratique des accouchements. 

     Nous pourrons gagner ce challenge audacieux de faire diminuer de moitié la mortalité des mères en couches d'ici l'an 2000 en nous associant à d'autres intervenants de terrain pour: 
- promouvoir les consultations prénatales et la consultation de fin de grossesse pour le pronostic de l'accouchement; 
-l'organisation de centres de soins décentralisés, équipés pour des interventions chirurgicales telles que grossesse extra-utérine, césarienne, forceps; 
- développer la solidarité internationale d'aide entre mères et sagesfemmes dans le monde, afin que plus jamais ne soit vrai ce proverbe djerma qui dit: «la femme qui accouche a un pied dans ce monde et un pied dans l'autre », mais que les mères vivent en donnant la vie. 



 


07/02/2013
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