ENFANTER LE LIEN - MERE - ENFANT - PERE- jeannette Bessonart

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234 - naissances : traditions et cultures


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Naissances: traditions et cultures 

FRANÇOISE Loux ethnologue 

     Je voudrais vous faire part, en ethnologue que je suis, de quelques réflexions sur le thème: «naissances, cultures et traditions ». 

     Quand on parle de cultures et traditions autour de la naissance, on pense souvent à ce qui se passe ailleurs dans d'autres sociétés et cultures. Il faut aussi réfléchir sur ce qui se passe dans nos propres sociétés. 

     Quand on se réfère à des traditions autres, à des traditions étrangères qui paraissent même étranges, il y a en effet deux écueils qu'il convient d'éviter. 

     Le premier écueil, c'est de repousser ces traditions comme « superstitions », c'est d'en rire ou de s'en offusquer. Je pense que, dans le milieu médical en particulier, on a trop souvent tendance, au nom du progrès, à dénigrer tout ce qui est tradition, à assimiler tradition et mortalité infantile, alors que les choses sont loin d'être aussi simples. 

     Le deuxième écueil que l'on pourrait qualifier d'écueil de l'exotisme, du passéisme, serait de magnifier ces traditions anciennes et de vouloir les adopter, les prendre telles quelles dans notre propre société. C'est un rêve impossible et même dangereux quand il aboutit à une totale remise en cause de la médicalisation. Cela ne tient pas compte du fait que les traditions s'inscrivent dans tout un ensemble de gestes, de croyances culturelles et que les traditions ne peuvent être transférées isolément. Par exemple, les postures de l'accouchement dans certains pays sont des postures de la vie quotidienne. 

     Cette attitude exotique ou passéiste a deux conséquences qui, personnellement, en tant qu'ethnologue travaillant sur la France, me posent problème. 

     D'une Part, cette attitude conduit souvent à négliger les traditions françaises, ou de façon plus générale, les traditions de son propre pays occidental. Et cette attitude conduit donc à aller chercher les traditions d'ailleurs, orientales ou africaines par exemple, comme seules valables, alors qu'il y a aussi tout un substrat très riche dans les pays occidentaux. Un autre problème se pose quand on a cette attitude passéiste ou exotique: on a souvent tendance à considérer la tradition comme quelque chose d'immuable, de passé, et l'on ne voit pas que les traditions bougent sans cesse et se recréent sous nos yeux (dans l'accouchement à l'hôpital, par exemple, avec tout ce qui se passe autour de la présence du père). 

    Donc, ce que je voudrais vous dire, c'est qu'une information sur les traditions d'autres pays ne peut se faire sans une information sur notre propre culture. C'est surtout vrai pour les professionnels de la santé qui ont souvent du mal à conseiller deux cultures, deux sources de savoir par rapport au corps, qui sont d'une part, le savoir professionnel et d'autre part, le savoir familial, acquis chez les soignants comme chez les autres, dès l'enfance. 

     Il est donc important pour les soignants de procéder à une réflexion sur ses propres traditions. C'est à mon avis un préalable nécessaire pour mieux comprendre les traditions des autres. 

     Mais comprenez-moi bien. Je ne suis pas en train de vous dire qu'il ne faut pas s'informer sur les autres cultures. Cette information sur les autres cultures est en effet essentielle si on évite les écueils dont je parlais précédemment, pour trois raisons: 

1) C'est une évidence sur laquelle je n'insiste pas. En raison de l'immigration, on rencontre ces cultures différentes dans nos pays occidentaux. Cependant, ce qu'il faut savoir, c'est que, les traditions n'étant pas immuables, elles changent, elles s'adaptent dans une situation d'immigration. Et je crois que les professionnels doivent être sensibles à ce point. Il ne suffit pas d'avoir une information sur telle ou telle pratique dans le pays d'origine, il faut voir comment elle s'adapte dans une situation culturelle et sociale différente. 

2) Une autre raison de l'importance cruciale pour nous de cette information sur les autres cultures, c'est que la France, comme beaucoup de sociétés occidentales, est en train de devenir pluriethnique, c'est-à-dire que des éléments d'autres cultures sont en train  d'entrer dans la culture nationale. C'est là un phénomène déjà ancien, mais qui prend en ce moment plus d'ampleur. Une réflexion sur les autres cultures permet de mieux accueillir ce phénomène. En effet, il faut éviter les écueils de l'exotisme, ou de refus de la fermeture. 

3) Enfin, ces cultures différentes nous renvoient à nous-mêmes. 
On dit souvent dans mon métier, que ce que l'ethnologue trouve en allant au loin, c'est lui-même au bout du compte. Les choses sont bien sûr plus complexes, mais il est sûr que pour comprendre sa propre société, voir une société et une culture différentes, permet de mieux apprécier ces différences. Autrement, on a tendance à considérer ce qui se passe dans sa société comment allant de soi, et voir des choses différentes permet de voir que rien ne va de soi. Nous avons donc beaucoup à apprendre de ces sociétés traditionnelles. 

     Quelles que soient les sociétés, on peut trouver des constantes qui aident à réfléchir sur les problèmes de la naissance. Sur ces constantes, les traditions des sociétés occidentales ont également des réponses. 

     Il faut, par exemple, être attentif à tout ce qui concerne le corps, la douleur. 

     Dans les sociétés traditionnelles, l'accouchement est considéré comme un travail physique difficile demandant l'entraînement du corps jusqu'au bout. C'est ce que me disaient des paysannes normandes à qui je demandais pourquoi elles travaillaient jusqu'au dernier moment avant la naissance. Elles disaient: « Il faut que le corps soit prêt, soit entraîné, sinon on n'a pas la force d'accoucher et l'accouchement dure longtemps, trop longtemps.» Dans beaucoup de cultures, il y a cette relation entre corps de l'accouchement et corps de la vie quotidienne. On peut se demander ce qu'il en est dans notre propre culture. 

     Autre point qui devrait retenir l'attention, c'est tout ce qui se passe autour du rituel de la naissance. En quoi la naissance est-elle vécue comme un acte social, un acte de passage vers le monde social parallèlement au rituel de la mort qui marque le départ de ce monde social. 

     Les personnes qui assistaient à l'accouchement, la future grandmère, la matrone avaient, dans la société traditionnelle française, un rôle à la fois concret qui était d'aider à l'accouchement et un rôle symbolique de représenter la communauté sociale pour l'accueil de l'enfant. On peut se demander ce qu'il en est, dans nos sociétés médicalisées, de ces rituels de la naissance. Comment sont associés gestes techniques et symboliques? Comment peuvent-ils s'exprimer? 

     Et justement, ce que l'on peut se demander aussi, c'est, de ce point de vue, quel est le rôle de la sage-femme. La matrone dans les sociétés traditionnelles, en plus d'aider à la naissance de l'enfant, est là pour représenter la communauté sociale aux deux moments essentiels de la vie que sont la naissance et la mort, car souvent, dans beaucoup de sociétés traditionnelles, ce sont les matrones, les sages-femmes qui se chargent de la toilette des morts. Dans la plupart des cultures traditionnelles du monde, il y a ainsi un personnage - la matrone, la sage-femme - qui est extérieur au cercle familial, qui aide techniquement à l'accouchement et qui a aussi un rôle symbolique. Qui a le rôle de couper, de séparer? C'est elle qui coupe le cordon. Il faut se demander ce qu'il en est de ce rôle dans nos sociétés médicalisées. Les sages-femmes ont-elles toujours conscience de cet aspect symbolique de leurs pratiques? Ont-elles conscience du fait que naître s'insère dans un rituel et qu'elles ont un rôle à jouer dans ce rituel? 

     Enfin, autre point de réflexion: la présence ou l'absence du père. On verra que l'accouchement traditionnel est une affaire de femmes. Mais cela ne veut pas dire que le père était exclu de la petite enfance autrefois. La mère était du côté de l'achèvement de l'enfant, elle était du côté du charnel, de la grossesse, de l'accouchement puis de l'allaitement. Le père, lui, était du côté du social, de l'automatisation de l'enfant avec le sevrage où son rôle était fondamental. Qu'en est-il, dans notre société, de ces situations différentes de la mère et du père. Va-t-on vers une indifférenciation des rôles comme certains le disent? Ou reste-t-il encore ces deux pôles, le charnel et le social? 

     Etre attentifs aux questions que nous posent les sociétés traditionnelles à nous qui, pour être médicalisés, croyons avoir oublié nos rituels et nos symboles, cela devrait nous permettre au bout du compte une découverte de nos propres traditions, non pour les reproduire telles quelles, mais pour en créer d'autres dans une société qui a changé. 




07/02/2013
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